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jeudi 13 juillet 2023

BURNING DAYS D'EMIN ALPER, TURQUIE, 2022.



Burning days d’Emin Alper, Turquie.

Vu en avant-première le mardi 25 avril 2023 au Forum des images.

L’affiche de ce film était partout dans le métro parisien.

Dans mes souvenirs, il était écrit que c’était un « thriller à couper le souffle ».

Le film nous est présenté en introduction comme ayant gagné 9 prix au Festival d’Antalya et ayant fait 250.000 entrées en Turquie. Il a eu également des problèmes avec l’Etat turc qui lui a demandé de rembourser ses subventions car considéré comme un film LGBT.

Qu’en est-il ? De façon très déceptive après avoir vu l’affiche qui mettait en avant un paysage naturel grandiose, toute l’histoire se déroule dans très peu de lieux fermés et en fait quasiment un huis-clos étouffant : le bureau du procureur (le personnage principal), le lac, trois maisons, et le village, très rapidement, lorsqu’on y roule.

Seul le lac est une ouverture vers l’extérieur, avec des paysages naturels panoramiques qui symbolisent très bien les seuls moments de respiration mentale du personnage principal.

Nous suivons la lente mais sûre descente aux enfers d’un jeune procureur citadin fraîchement diplômé dont la première affectation est Konya, une ville rurale de la province du même nom au sud d’Ankara, en Anatolie, dont le réalisateur est issu lui-même.

La première scène est marquante : les habitants poursuivent un sanglier en voiture et tirent avec des armes à feu, en hurlant, en riant. Toute la scène est bruyante, le motif de joie, vulgaire. La chasse au sanglier est le divertissement numéro 1 de la ville. Tout le monde y participe dans la joie et l’allégresse. Sans qu’il parle, à travers la caméra du réalisateur, on ressent le profond dégoût du procureur pour ces gens dénués d’éducation qui ont pour source principaled’amusement, la cruauté envers les animaux. Cette scène n’est pas sans rappeler celle du cochon dans Voyage au bout de la Nuit. Je ressens exactement la même chose envers les gens qui aiment les férias et les corridas. L’argument fallacieux de la tradition ( « C’est la tradition ») est démonté dans « Zadig », un conte philosophique écrit par Voltaire au 18ème siècle. Il faut le (re)lire.

Cette longue scène introductive donne le la, donne le ton de tout le reste du film : celui d’un décalage.

En effet, ce jeune procureur qui veut simplement faire son travail (c’est cela l’idéalisme de la jeunesse : penser qu’on va pouvoir faire son travail simplement et justement) va être confronté à des gros beaufs de façon de plus en plus oppressante qui vont le manger tout cru : ils sont partout, se reproduisent et détiennent le pouvoir (cf. Rhinocéros de Ionesco). Le maire et le fils du maire veulent le corrompre à coup de cadeaux, d’invitations et d’incitation à la débauche. Le seul individu local pourvu d’un esprit critique, un jeune journaliste, est exclu par la population car c’est un lanceur d’alerte gênant qui compromet le don d’eau aux habitants en pleine sècheresse.

En effet, l’enjeu socio-économique et social de la ville est l’eau face à la sècheresse dramatique de la région. Afin de se faire réélire, le maire propose de continuer à surexploiter les nappes phréatiques pour plaire aux agriculteurs et à toute la population qui en ont tous besoin. Le problème est que cette surexploitation des eaux souterraines provoque l’érosion des terres et leur effondrement puis des « dolines » : des gouffres béants très dangereux pour la population. Le journaliste publie les rapports des géologues qui font état du niveau de dangerosité des dolines mais il est accusé d’être un perdant de mauvaise foi qui veut venger son père adoptif (décédé après avoir perdu les élections municipales précédentes). 

L’enjeu de l’eau et la mise au banc de la société d’un lanceur d’alerte au détriment de la nature et des générations à venir sont l’objet d’une pièce que je n’ai toujours pas lue ni vue intitulée Un Ennemi du Peuple d’Henrik Ibsen, écrite en 1882. C’est aussi la même intrigue dans Chinatown de Polanski avec Nicholson et Dunaway, à la différence que celafinit par une révélation d’inceste…

Dans « Burning days », la touche personnelle scénaristique est une histoire de viol sur une jeune enfant du voyagedéficiente intellectuellement. Une scène, pourtant filmée subtilement, est très violente visuellement malgré tout et n’a pas été sans me rappeler une scène de Poetry de Lee Chang Dong où le contraste entre la vulgarité des gens filmés et la distance consciente et jugeante de la caméra, est grand. 


Qu’en est-il des scènes LGBT ?

Alors oui, il y a bel et bien un sous-entendu gay entre le procureur et le journaliste mais on ne sait plus si c’est un fait du scénario ou si c’est ce qu’a imaginé le peuple (les gens les harcèlent sur la question par téléphone et dans la rue) qui fait que le procureur commence à douter de ce qu’il a vécu lui-même étant donné qu’on l’a fait boire énormément le soir du viol et qu’il ne se souvient plus de rien ou par bribes. Plus précisément, il semblerait que ce soit le journaliste qui est vraiment gay et non le procureur. En tout cas, c’est sans doute le film le plus anti-alcool que j’aie jamais vu de ma vie tant les conséquences du black out du héros sont grandes sur sa vie (si vous avez d’autres exemples, je suis preneuse). 

Quoiqu’il en soit, il est absurde qu’un gay viole une petite fille…Mais c’est pourtant ce qu’imagine le peuple, totalement dénué de bon sens, violent et sans cerveau, violent parce que décérébré.


La fin du film fait écho au début du film sous une forme différente et ça, d’un point de vue purement esthétique, c’est vraiment magnifique. En effet, le sanglier pourchassé par les habitants au début du film EST le procureur ou les habitants sont devenus des sangliers sauvages qui poursuivent les deux seuls êtres humains qui restent sur terre : le procureur et le journaliste.

Verdict : je n’ai pas aimé ce film, pourtant pourvu objectivement de mille qualités artistiques. Je ne l’ai pas aimé parce qu’il m’a oppressée et désespérée au plus haut point. Ce n’est pas le genre de thriller que j’imaginais, à l’américaine. Mais force est de constater que je suis bel et bien restée scotchée à mon siège, en apnée mentale, pendant deux heures. Bravo au courageux réalisateur turc qui n’a pas pu se rendre à cette projection (il devait venir) pour une très belle raison : il venait de devenir papa depuis une semaine.

Ma plus grande déception ? J’en ai parlé en cours. J’ai bien prévenu mes deux élèves français d’origine turque que ce n’était pas un film pour adolescents de 14 ans, que c’était trop déprimant et que ça leur paraîtrait de toute façon trop ennuyeux. Une des deux y est allée malgré tout avec ses parents et ses cousins. Personne n’a aimé, ce que je conçois parfaitement (moi non plus). Mais l’ont-ils compris ? Rien n’est moins sûr. Mes élèves turcs semblent apprécierErdoğan (ils ne comprennent pas le rapport entre le programme de 3ème qui tourne autour des régimes totalitaires, dupopulisme et lui...), influencés naturellement par leurs parents. 


POUR EN SAVOIR PLUS :

Sur les dolines :



Sur le réalisateur : 

lundi 1 mai 2023

THE QUET GIRL, COLM BALREAD, 2022, IRLANDE.

 The Quiet Girl de Colm Balréad, 2022, Irlande.

Vu le mardi 21 mars 2023 en avant-première (invitation forum des images via la revue Positif), en présence du réalisateur qui a répondu à la question de savoir si son prochain film serait en gaélique : « La langue la plus importante pour moi est celle du cinéma ». <3. Film sorti en 2022 nominé aux Oscars.


Résumé : une petite fille prénommée Cáit vient d’une famille où elle n’a pas sa place et va la trouver auprès d’une autre famille, chez sa tante et son oncle.

WARNING : SPOILER.

Le film commence par une scène où l’on voit la mère excédée par l’énième pipi au lit (énurésie) de la jeune héroïne Cáit, ses deux sœurs énervées parce que la mère ne peut pas s’occuper d’elles de nouveau à cause de cela. La mère, enceinte jusqu’au cou, s’occupe toujours d’un enfant en cours. La petite fille n’est donc qu’un bouc-émissaire : celui de la pauvreté et du manque d’éducation de sa famille.

C’est l’enfer à la maison : il y a toujours un gamin qui braille, du bruit, de l’agitation. La petite fille n’est aimée ni par ses parents, ni par ses sœurs, ni par ses camarades de classe à l’école. Tout le monde parle mal d’elle, bref, c’est Caliméro. Cela aurait pu agacer profondément (et ça agace un peu) si le réalisateur n’avait pas fait comprendre tout cela subtilement, à partir du point de vue de la petite fille. Les propos méchants sont donc entendus de loin quand elle a le dos tourné et par fragments, par bribes. Le bruit est là mais diffus car la caméra suit le regard d’un personnage qui ne sait pas où se poser, où se mettre, où se fixer : l’esprit du spectateur est donc focalisé sur cette quête et non sur le reste.

Le père prend même sa maîtresse en stop alors qu’elle est dans la voiture : comme Cáit ne parle pas, elle devient invisible, elle ne compte pas. Une fois rentrés à la maison, le père incite sa femme à accepter l’invitation de sa sœur en envoyant leur fille chez elle pendant tout l’été. Il met en avant le fait qu’elle soit une bouche de trop à nourrir. La mère accepte sans résistance. Le père précise que cela ne le dérangerait pas de la laisser là-bas pour toujours et la petite entend cela.

Au bout d’un long voyage en voiture, le père et la fille arrivent donc chez la tante et l’oncle et sont invités à déjeuner. On sent la tension de part et d’autre, surtout entre les deux hommes : l’un juge l’autre d’être un loser et l’autre l’envie parce qu’il réussit. La femme est concentrée sur la petite. Le père veut repartir le plus vite possible mais la femme le fait poireauter pour lui donner des tiges de rhubarbe. Ce moment est interminable. On le vit du côté du père et le généreux don de rhubarbe comme une humiliation supplémentaire. Le tas de tiges sera jeté négligemment dans la voiture avant un départ en trombe. 

Chaque jour, la petite fille se rapproche de la femme qui l’apprivoise comme un petit animal blessé mais son mari la fuit comme la peste. Jusqu’au jour où la femme doit partir seule en ville et laisse la petite avec lui. Ce jour-là ne se passe pas vraiment bien mais petit à petit, les deux vont tisser des liens et avoir leurs propres rituels. Cáit a enfin trouvé sa place. Jusqu’au jour où après les funérailles d’une personne âgée, elle apprend par une commère du village que le couple a perdu un fils. La petite perd confiance mais le père trouve les mots justes pour la rassurer et elle va beaucoup mieux.

Malheureusement, l’été touche à sa fin et la mère de Cáit envoie une lettre à sa sœur pour lui rappeler que la rentrée approche et qu’il faut la ramener. Le couple ramène donc le coeur serré la petite chez elle. On retrouve le chaos familial bruyant du début avec cette fois-ci le nouveau-né (qui provoque l’indifférence du couple et des spectateurs). Le père regarde à peine la petite au moment des adieux tellement il a mal : on le voit, on le sent, on a mal aussi. La voiture s’en va. La petite se retrouve seule, avec « sa famille ». Son père dit ou fait quelque chose, enfin je crois : peut-être qu’il n’a rien fait après tout. Dans tous les cas, la petite s’élance de toutes ses forces vers le portail situé à un peu moins d’un kilomètre que son oncle s’apprête à fermer derrière lui. Il se retourne et la voit, elle lui saute dans les bras et hurle : « Daddy ! Daddy! ». J’étais en pleurs avec la peur panique que la lumière se rallume trop vite, mes voisins aussi.

Verdict : Je n’avais pas pleuré à la fin d’un film depuis longtemps. Les films devant lesquels je me souviens avoir pleuré sont Timbuktu, The Eternal Sunshine of the Spotless Mind et Le Cercle des Poètes disparus. Mais pleurer spécifiquement à la fin ? Je ne sais plus, j’aurais aimé avoir ma liste personnelle.

Cinématographiquement, la narration en focalisation interne à partir de la petite fille (« quiet ») est l’originalité de ce film qui montre beaucoup de choses poignantes sans paroles et a gagné de nombreux prix pour cela. 

Le film est inspiré de la nouvelle « Foster » de Claire Keegan, 2010. Le réalisateur a mis des mois et des mois avant de trouver la bonne comédienne qui n’avait jamais joué dans un film. Elle est exceptionnelle et s’appelle Catherine Clinch. Le film a été tourné en 2020 lorsqu’elle avait 11 ans. 

La question que je me suis posée : « Montrer ce film à des enfants qui n’ont pas eu la chance de naître et grandir dans une famille aimante, est-ce leur faire du bien ou du mal ? ». Je crois que ça leur ferait du mal mais en même temps, ce film donne clairement de l’espoir à tous les enfants mal aimés de la terre.

dimanche 26 décembre 2021

"De purs hommes", Mohamed Mbougar Sarr, Sénégal, 2018.

Titre : De purs hommes. 
Auteur : Mohamed Mbougar Sarr (auteur sénégalais francophone, Prix Goncourt 2021).
Année de publication : 2018. Pays : France.

Lu pendant les vacances d’hiver 2021, fini le dimanche 26 décembre 2021.
Contexte d’achat, le dimanche 5 décembre 2021 : Série de tables-rondes autour de l’exposition « Picasso, l’étranger » au Musée de l’Histoire de l’Immigration. Mohamed Mbougar Sarr, Prix Goncourt 2021 y a participé et a dédicacé ses livres. Je n’avais pas envie d’investir une vingtaine d’euros dans le Goncourt que je n’étais pas sûre d’aimer. En revanche, il a été rappelé que les Sénégalais ne se réjouissaient pas de son prix à cause de son roman « De purs hommes » et son sujet, l’homophobie. C’est donc avec moins de scrupules économiques que j’ai acheté ce livre, le moins cher de toute la table (7 euros 20), pour l’utilité qu’il pourrait avoir auprès de mes élèves (je n’ai aucune référence littéraire traitant clairement de l’homosexualité à part Jean Genet, auteur étudié à l’Université, dont je n’ai pas lu le roman consacré à ce sujet précis).

Résumé : Ndéné Gueye, jeune professeur de Lettres à Dakar, découvre par sa maîtresse Rama, une vidéo virale qui circule sur les réseaux sociaux du pays montrant un homme mort déterré d’un cimetière musulman parce qu’il est gay. Au début, il n’est pas intéressé mais depuis qu’il comprend la haine que cela déclenche dans sa communauté musulmane, il s’y intéresse davantage et découvre au fur et à mesure un problème identitaire personnel au coeur de ce problème d’homophobie nationale.

Avis : Récit écrit à la première personne franchement bien écrit dans sa structure (les chapitres sont brefs, à la Kundera, comme j’aime) et appréciable par sa franche honnêteté dans le contenu : le protagoniste y expose toutes ses faiblesses, avec parfois un brin d’humour. 

Il y défend des convictions personnelles : il affirme que ce qui lie les êtres humains entre eux, peu importe leur condition sociale, leur couleur ou leur religion, c’est la solitude mais aussi la violence métaphysique. 

En revanche, l’évolution du personnage principal n’est pas du tout crédible et la progression du récit, précipitée hâtivement vers ce but invraisemblable : quel dommage ! Sauf si l’auteur en a éprouvé lui-même la nécessité pour des raisons personnelles, c’est la seule cause plausible que je vois pour expliquer cette fin farfelue, qui pour moi, ôte tout le propos sincèrement humaniste de ce roman. Que cet avis personnel ne vous empêche pas toutefois de le lire, je vous en prie.

Note 1 : Je me suis un peu reconnue dans le portrait du personnage féminin Rama (p. 63-65) sur sa lucidité et sa capacité d’empathie à la différence que je ne travaille pas dans le monde de la nuit et que je n’ai pas la beauté que l’auteur lui attribue en la décrivant, ni sa force, son courage et son indépendance assumée. « Rien dans sa quête de jouissance et de bonheur n’était vulgaire », p. 63. « Oui, c’est ça : elle était une hédoniste. Elle n’était pas dans une quête effrénée et égoïste du plaisir, elle vivait dans une relation au monde où le plaisir serait en partage, en toute liberté », p. 65.

Note 2 : Jalouse des deux personnages féminins qui sont plus ouvertes d'esprit que moi encore, toutes deux bisexuelles. J'espère ne pas mourir idiote.

Passage à étudier avec des élèves (niveau seconde, histoire de se protéger) sur le thème de l’homosexualité : chapitre 8, p.73 : « Vous savez pourquoi Verlaine a été interdit par le ministère... » jusqu’à « Qu’ils baisent des musaraignes ! » Où étais-je allé chercher ça ?, p. 77. Discours que je tiens moi-même à mes élèves : je n’aime pas Freddie Mercury parce qu’il est gay mais pour son talent de chanteur compositeur qui a bouleversé mon âme dans ses moindres tréfonds. De la même manière, je n’aime pas Céline parce qu’il est antisémite mais parce qu’il a aussi bouleversé mon âme par son talent de romancier.

Passage sur l’évolution logique vers le découragement de tout professeur ayant fait ce métier par vocation, ici en Lettres, à l’Université : le chapitre 2 en entier, p.21 à 28. On y apprend que le protagoniste, au début enflammé par sa vocation, finira par abandonner, le système dirigé par des egos aux enjeux de pouvoir ayant écrasé toutes ses velléités pédagogiques sincères. Totale empathie ! 

Passage sur l’ancien comportement des homosexuels au Sénégal (et on pourrait dire que c’était la même chose chez nous aussi) : ils étaient discrets, ne se faisaient pas remarquer, p. 145.

Passage qui rend compte du décalage avec l’Occident sur la question et susceptible de rendre islamophobe (et anti-religion en général puisque les Chrétiens intégristes se servent du passage de Sodome et Gomorrhe de la Bible pour défendre leur homophobie aussi, rappelons-le) : « Dans leur pays, les Occidentaux sauvent les homosexuels ; ici, on les condamne. Ils ne se rendent pas compte que les pressions qu’ils exercent sur nos gouvernements pour la dépénalisation de l’homosexualité produisent l’effet inverse : une montée de l’homophobie. Ils ne le comprennent pas... », p. 148.

Citations :

Sur la solitude. « Nous sommes souvent durs envers l’humanité, sa bêtise, ses fautes et sa laideur, mais nous n’avons qu’elle. Elle est notre seule vraie famille, notre unique refuge contre notre solitude. Oui, nous sommes fondamentalement seuls et, sans la communauté de solitudes que forme et nous offre l’humanité, aucun de nous ne tiendrait un round face à lui-même. On réussit à continuer à vivre parce qu’on sait que tous, riches, pauvres, Juifs, Miss Univers, Prix Nobel, et même les Américains, tous sont aussi seuls que nous. Cette idée est faible, égoïste, lamentable, je l’admets. Elle est désespérante et ne fait aucun cas de l’amour. Mais elle a aussi pour moi quelque chose de bassement réconfortant », p. 48.

Sur la violence : « J’ai toujours pensé que l’humanité d’un homme ne fait plus de doute dès lors qu’il entre dans le cercle de la violence, soit comme bourreau, soit comme victime, comme traqueur ou comme traqué, comme tueur ou comme proie », p. 125.

« Ce sont de purs hommes parce que à n’importe quel comment la bêtise humaine peut les tuer, les soumettre à la violence en s’abritant sous un des nombreux masques dévoyés qu’elle utilise pour s’exprimer : culture, religion, pouvoir, richesse, gloire…

Les homosexuels sont solidaires de l’humanité parce que l’humanité peut les tuer ou les exclure. On l’oublie trop souvent, ou on ne veut pas s’en souvenir : nous sommes liés à la violence, lié par elle aux uns aux autres, capables à chaque instant de la commettre, à chaque instant de la subir. Et c’est aussi par ce pacte avec la violence métaphysique que chacun porte en lui, par ce pacte, autant que tout autre, que nous sommes proches, que nous sommes semblables, que nous sommes des hommes. Je crois à la fraternité par l’amour. Je crois aussi à la fraternité par la violence », p. 126.

Sur la lucidité : « Le courage est un grand mot. C’est un mot pour les héros. Ils sont rares et je n’en suis pas. Je te parle de quelque chose d’autre, de plus simple et de plus difficile à la fois que le courage : la lucidité ».

« Ça ne concerne pas que toi, Ndéné, dit-elle. Pour chacun d’entre nous, être lucide signifie pouvoir se regarder en face, quel que soit son visage. Même laid, même balafré, même couvert de plaies et de pus, même gangréné, il faut regarder. C’est simple »., p. 180-181.

Lexique :

Goor-jigéen : n.m. homme-femme en wolof. Mot fourre-tout pour homosexuel, transgenre, travesti.

Sabar : n.m. mot wolof désignant à la fois une sorte de tam-tam, une danse et une fête traditionnelle, p.30. « Au fond, on se fichait même totalement de justifier un sabar, aucune raison n’était nécessaire », p. 31.

Agonir : vb. Accabler d’injures. « J’étais prêt à agonir l’importun qui m’appelait si tôt, à 13 heures », p. 38.

Sine die : latin. Locution adverbiale latine, littéralement « sans jour » : sans fixer de (nouvelle) date.

« Et comme à chaque fois que j’essayais d’affronter cette tâche, je me rappelai la raison pour laquelle je l’avais fuie et reportée sine die dans un geste de peur : elle était sisyphéenne, mortelle », p. 42. (il parle de la tâche qui consiste à lire ses mails professionnels : empathie totale ! Je ne les lis plus non plus : il y en a TROP).

Componction : n.f. Douleur affectée. Emprunté au bas latin compunctio proprement « piqûre » employé dans le domaine médical au sens de « douleur poignante » et chez les auteurs chrétiens au sens de « piqûre morale, amertume » et « douleur de l'âme causée par le sentiment du péché ». « Je tentais de lui donner quelque chose qui n’était ni de la componction affectée qu’on peut ressentir et étmoigner à une mère endeuillée -celle-là ne suffit jamais- ni le sentiment présomptueux de comprendre sa douleur – celui-là est toujours illusoire – mais, bien plutôt, un autre présent, à la fois plus précieux, plus modeste que la compassion ou l’empathie, ma présence, ma simple mais totale présence », p. 139. 
Note personnelle : Cela, je l’ai appris à mes dépens parce que j’ai fait tout l’inverse dans l’immaturité la plus totale avec d’abord ma cousine Nadège qui m’en a beaucoup voulu mais aussi mon amie Laurence qui ne m’a plus jamais parlé parce que je ne suis pas venue à l’enterrement de son père. J’ai compris suite à ces deux erreurs que suite à un deuil, il fallait juste être là et ne rien dire. Laax : (ou lakh) n.m. wolof, plat sénégalais « bouillie de mil arrosé de lait caillé » « C’était son plat préféré » (en parlant de son fils, le défunt déterré), p. 140. https://fr.wikipedia.org/wiki/Lakh 

Pour aller plus loin : Sodome (ville de Lot) et Gomorrhe (ville voisine de la première) : villes de l’ancienne Palestine, non citées dans le Coran mais point commun avec l’histoire du personnage Lot, chef d’une ville (Sodome dans la Bible) détruite par Dieu à cause du péché de ses habitants. Ça, c’est le minimum sur quoi tout le monde s’entend parce qu’alors sur l’histoire dans ses détails, elle n’a ni queue ni tête ! 
En gros, deux Anges déguisés en humains viennent tester l’hospitalité (loi antique très importante) de Lot à Sodome. Il les héberge. Les habitants de Lot frappent à la porte et demandent à les « connaître ». Lot refuse et propose de leur donner ses filles vierges en échange (wtf???). Dieu a ainsi la confirmation que c’est une ville qui 1) n’est pas hospitalière puisque les habitants font chier Lot et/ou 2) que c’est une ville d’homosexuels puisque les habitants ont voulu violer les deux étrangers. Les Anges préviennent Lot de la destruction imminente de Sodome et lui disent de fuir avec sa femme et ses filles. Son épouse se retourne et se retrouve changée en statue de sel (ne jamais regarder en arrière). Il se retrouve seul avec ses filles dans une grotte. L’aînée, inquiète de ne pas trouver d’hommes dans ce bled perdu, enivre son père et le viole et incite une de ses sœurs à faire de même. Elles tombent toutes deux enceintes. YOUPI... 

Heu...C’est la Bible ou le scénario d’une petite vidéo porno pour chrétiens intégristes hautement frustrés sexuellement, ce délire ??? Franchement, amis rebelles et libertins : tournons gaiment ce passage de la Bible dont le scénario n’a aucune vraisemblance ni crédibilité tant il est TORDU ! Je ne comprends pas pourquoi on fait tout un foin depuis des siècles sur un passage franchement obscur dont l’interprétation homosexuelle a été clairement ultérieure à son écriture quand l’idée d’un père qui propose ses filles à des habitants furieux (de quoi vraiment, on ne comprend pas) ne choque personne, pas plus que l’inceste inversé dans une grotte grâce à l’alcool !

Récit biblique (source : Wikipédia)

Après avoir quitté Ur en compagnie d'Abraham, Loth arrive sur les bords du Jourdain. Riches en troupeaux, ils se séparent à la suite d'une querelle entre leurs bergers : Abraham reste dans le pays de Canaan et Loth descend vers Sodome.

Au cours d'un sac de Sodome, Loth est fait prisonnier par Kedorlaomer, roi d'Élam, et ses alliés. Abraham les bat et ramène Loth à Sodome.

Un soir, deux anges sont accueillis par Loth dans sa maison à Sodome. Les hommes de Sodome « du garçon au vieillard » entourent la maison en lui demandant qu'il leur livre les deux étrangers pour qu'ils les « connaissent » (Genèse 19:5). Dans ce passage, les habitants de Sodome disent à Loth : « Où sont les hommes qui sont venus chez toi cette nuit ? Amène-les nous pour que nous les connaissions. » (yada’ en hébreu). Sur le seuil, Loth les supplie de ne pas manquer à l'hospitalité et leur propose ses deux filles vierges en échange mais les habitants refusent. Le peuple s'emporte plus encore contre cet émigré qui fait le redresseur de torts. Les deux anges font alors rentrer Loth, ferment la porte et frappent le peuple de cécité. Puis ils déclarent que Dieu va détruire la cité, et disent à Loth de fuir avec sa famille. Il réveille alors ses futurs gendres, mais ils ne le croient pas.

À l'aurore, les deux anges le pressent de partir pour la montagne avec ses filles. Ils leur recommandent de fuir sans se retourner. Loth pense n'atteindre que la ville de Tsoar, que Dieu se résout à épargner. Dès qu'il entre à Tsoar, Dieu fait pleuvoir du soufre et du feu sur Sodome, Gomorrhe, Adama et Seboïm qui sont détruites3. Sodome, Gomorrhe, Adama et Seboïm se trouvent près de Lésa à la frontière du territoire des Cananéens4, sur les berges méridionales de la mer Morte dans la plaine de Siddim (c'est-à-dire la mer Salée) remplie de puits de bitume6. Dans le récit biblique, la femme de Loth se retourne et devient une colonne de sel7. Le fait de se retourner est frappé d'interdit dans de nombreuses cultures comme dans le mythe d'Orphée et d'Eurydice rapporté par Platon où Orphée se retournant perd pour toujours son épouse Eurydice8. Dans le récit biblique, Jésus demande à ses disciples de ne pas se retourner pour regretter des biens inutiles au salut9 et de se souvenir de la femme de Loth.


Dans le Coran, la première mention du récit se trouve au chapitre 7, versets 80 à 84 :

« Et Lot, quand il dit à son peuple : « vous livrez vous à cette turpitude que nul, parmi les mondes, n'a commise avant vous ? Certes, vous assouvissez vos désirs charnels avec les hommes au lieu des femmes : Vous êtes bien un peuple outrancier. » Et pour toute réponse, son peuple ne fit que dire : « Expulsez-les de votre cité. Ce sont des gens qui veulent se garder purs ! » Or, Nous [Dieu] l'avons sauvé, lui et sa famille, sauf sa femme qui fut parmi les exterminés. Et Nous avons fait pleuvoir sur eux une pluie. Regarde donc ce que fut la fin des criminels. »

« Des gens qui veulent se garder purs » : expression dite par ironie. (Note de l'édition Albouraq.)

L’explication géologique de la destruction de Sodome et Gomorrhe : https://www.dinosoria.com/sodome_gomorrhe.htm 


Dédicace de Mohamed Mbougar Sarr, le dimanche 5 décembre 2021.

Cadeau à mes élèves (hélas trop jeunes encore pour atteindre ce niveau de lecture, hormis peut-être de futurs élèves brillantissimes). 
La plus grande lectrice que j'ai eue jusqu'à présent en 15 ans d'enseignement est une ancienne élève musulmane que j'ai eue à 12 ans. En 2021, elle a 16 ans, veut faire des études littéraires plus tard et considère l'acte sexuel comme "dégoûtant" et "répugnant", se promettant à elle-même de ne jamais le pratiquer. 
Je le sais car lors d'un cours particulier (que je lui ai donné gratuitement non parce que je suis quelqu'un de gentil mais en remerciement sincère du sens qu'elle a donné à mon métier), j'ai évoqué le rapport sensuel à l'objet-livre en disant spontanément "faire l'amour à un livre", en allusion à la version papier, incomparable au numérique selon moi pour vivre pleinement son expérience de lecture. 
Je ne m'attendais pas à une telle réaction offusquée digne d'une pièce de Molière (même Agnès est plus évoluée dans l'ignorance) et lui ai rappelé que dans les trois mots que j'avais utilisés, il y avait "amour" et que combinés ensemble, "faire l'amour" faisaient référence à un acte beau et pur et n'avaient aucun rapport avec la pornographie (étant donné l'état dans lequel mes mots l'avaient mise, je me suis sentie obligée d'établir leur claire distinction). 
Sa réaction d'un autre temps m'a tout autant offensée, moi, produit scolaire du Siècle des Lumières (au programme de 4ème), lectrice de La Religieuse de Denis Diderot ! 
Elle ne supporte pas que je dise que l'Islam y est pour quelque chose dans sa vision de l'acte charnel, au même titre que la religion chrétienne (je l'ai bien précisé) prétendant avec force que sa vision était purement individuelle. J'espère qu'elle fera des études supérieures qui lui apprendront le rôle du conditionnement et surtout celui de la religion au sein des familles CULTURELLEMENT pauvres.  
Alors certes, on pourrait rétorquer que moi aussi, je ne suis q'un produit socio-culturel-historique occidental moi-même mais ce dernier m'a conditionnée à vouloir la liberté de tout individu ne nuisant pas à autrui de façon malveillante et c'est un conditionnement que je bénis, que je chéris et que j'ai à coeur de transmettre.
Hâte qu'elle grandisse et apprenne. À quoi sert-il de grandir en France pour être aussi attardé mentalement que là-bas, bordel ???


mercredi 22 décembre 2021

DAMAGES, Todd A. Kessler, Glenn Kessler, Daniel Zelman, 2007-2012, ÉTATS-UNIS.

À binger sans modération !!!

À ceux qui résistent encore à l'emprise de Netflix dans leur vie : je viens de binger (vacances d'hiver 2021) une vieille série qui date de 2007 (me suis fait les 5 saisons en trois jours) et depuis, je pense être la plus grande fan de Glenn Close sur terre actuellement, lol. 
Elle est dispo gratuitement en replay sur TF1 actuellement (Netflix revend tout un jour ou l'autre).

D’habitude, les scénaristes sont pour moi les véritables génies des séries et des films. Mais pour celle-ci, c'est les deux : les scénaristes ET l'actrice Glenn Close. Je n’ai jamais vu une telle performance, une telle perfection dans l’incarnation d’un personnage fictif.

Côté scénario, le bien est intriqué dans le mal, le mal dans le bien tout en maintenant une parfaite clarté dans leur distinction, une exigence dans leurs nuances et une grande rigueur dans la cohérence générale.
Et ce, malgré les soucis de financement que la série a rencontrés et le fait que les scénaristes écrivent au fur et à mesure !

Chaque saison commence avec des fragments de la fin. Tout est fait pour que ces fragments conduisent volontairement le spectateur à induire de mauvaises conclusions. Réussir ce tour de force à 5 reprises, je trouve ça objectivement impressionnant.

Les acteurs n'étaient d’ailleurs pas prévenus eux-mêmes de l’évolution de leur personnage à l'avance et ont été mis émotionnellement quasiment à la même place que les spectateurs (à une semaine près). Ils avaient donc leur texte à apprendre au dernier moment. 14 heures par jour X 6 mois pour une saison.

Depuis, désespérée d'avoir fini une série aussi intense, j'ai regardé l'intégralité de saison 1 de la série française "Le Code" (point commun : judiciaire, cabinet d'avocats).
C'est l'anti-Damages : la série se veut complexe en nous montrant systématiquement deux points de vue sur chaque affaire, avec d'un côté le point de vue "zemmourien" et de l'autre, le point de vue "Islamo-gauchiste" qui domine au final l'esprit de la série (d'ailleurs, tous les méchants sont blancs et les personnes à haute responsabilité de couleur).
C’est comme si vous pétiez très fort, que ça puait dans toute la pièce et que vous demandiez pardon ensuite en vous frappant vous-même. Déplorable.
Le procédé est exactement le même dans la série judiciaire "Munch", l'apogée de son application se trouvant dans "Le Commissaire Magellan ». 

Le procédé est tellement grossier avec cette conception idéologique et partisane du bien et du mal que le résultat donne à peu près tout le contraire de ce qui était prétendument voulu : une série manichéenne dénuée de complexité.

Il est évident que les scénaristes français s'efforcent de copier les scénaristes américains qui utilisent ce procédé de parallélisme idéologique depuis beaucoup plus longtemps entre un point de vue démocrate et un point de vue républicain mais sans caricature ridicule, ni de l’un, ni de l’autre. 
Le point de vue démocrate ne méprise pas de façon angélique le point de vue républicain et le point de vue républicain dans les séries américaines n’est ni trumpiste ni zemmourien. Il est plutôt hobbesien versus rousseauiste. 
Les deux points de vue s’affrontent souvent mais ce sont surtout des actions qui vont les illustrer et c’est au spectateur d’en tirer ses propres conclusions (cf. Lost ou The Walking Dead : les scénaristes le font très souvent). 
En résumé, les Américains parient sur l’intelligence des spectateurs. Les producteurs français, non (en-dehors du génial Bureau des Légendes), ils se contentent d'assurer des parts d’audience avec les spectateurs moyens.
Je me doute bien que ça repose beaucoup de gens de ne pas vouloir affronter la violence de la complexité. Mais faudra pas jouer les grands étonnés aux futures élections…

Cette série, par la médiocrité de ses ambitions et ce, malgré la qualité apparente de sa production, est incapable de "divertir", autrement dit de détourner du réel et ne pouvait que me faire tomber en dépression, en d’autres termes me ramener à la réalité et à la dure prise de conscience que j’ai une centaine de copies à corriger avant la rentrée. Sigh. 

Cela dit, une collègue de Lettres m’ayant rappelé mon amour pour The Wire, une de mes séries d'anthologie pour la vie, je concède sans problème que "Damages" n’en fera pas partie pour la raison suivante très simple : c’est surtout du talent époustouflant d'une actrice, de Glenn Close dont il est question. Le reste est en effet, du grand divertissement, ne serait-ce que parce qu’il ne s’agit pas de l’univers réaliste de monsieur ou madame tout le monde.

The Wire en revanche, c’est la vraie vie avec un pauvre fonctionnaire de police comme anti-héros : il a des convictions fortes et une vocation pour son métier mais aucun pouvoir, ce qui le rend fou, l’identification est facile. Le scénario a été écrit pour tous les idéalistes énervés de la Terre dont je fais partie. Je ne me souviens pourtant jamais du nom de l’acteur qui m’a fait pleurer comme une madeleine, quand bien même il l’incarnait parfaitement. Son personnage - Joe ?- était sans doute plus fort que son enveloppe corporelle (image floue dans ma mémoire alors que que je l’avais trouvé très mignon).

Cependant, le point commun entre The Wire et Damages c’est que ce sont des séries qui reposent sur une conception du bien et du mal qui se veut la plus universelle possible. 
La politique de bas étage n’y est pas amalgamée : le héros de The Wire comprend que les politiciens de Baltimore, peu importe leur bord, ne sont pas sincères (c’est ce que finit par comprendre n’importe quel fonctionnaire dans le monde), quant à Patty Hewes, elle est connue dans son milieu fictif pour ne pas aimer les politiciens et finit par accepter un poste politique, uniquement pour se protéger et non par conviction, ni même pour le pouvoir dont elle se nourrissait.

Conclusion : I LOVE GLENN CLOSE <3 Watch or rewatch Damages ! I don't understand why she still doesn't have an oscar. Hope she will get one at least for her whole career before she dies or loses her mind. What a woman !

The most talented actress in the world without any single Oscar : Glenn Close ! 
Shame on you, Hollywood !


MYSTÈRE TOTAL POUR MOI (est-ce une histoire d'aire géographique ?) : Je n'ai pas réussi à trouver beaucoup d'interviews des acteurs de la série. Seulement la vidéo ci-dessous (la fin où une actrice rend hommage à Glenn Close comme il se doit -j'ai exactement pensé LA MÊME CHOSE- me fait vraiment plaisir même si je ne comprends PAS pourquoi les autres restent impassibles, bande de bâtards, j'en arrive à me demander si Glenn Close ne leur a pas fait quelque chose personnellement pour mériter ça). J'ai ri quand l'animatrice la présente et dit "I'm very honored and little frightened to welcome Glenn Close" (moi aussi, elle me fait trop peur, lol).

 




Ce lien de replay qui donne accès aux 5 saisons a hélas une date d'expiration, évidemment : https://www.tf1.fr/tf1/damages



lundi 1 novembre 2021

LA FILLE DE LA SUPÉRETTE, SAYAKA MURATA, JAPON, 2016.

La fille à la Supérette, Sayaka Murata, Japon, 2016, Prix Akutagawa (équivalent Goncourt).

Contexte : J'ai trouvé ce livre soit dans la rue, soit au rez-de-chaussée de mon immeuble, je ne sais plus ! Lu durant les vacances de la Toussaint 2021.

Thème : L’inadaptation à la société et ce qu’elle attend de nous : productivité, mariage et reproduction.

Résumé : C’est l’histoire d’une femme, Keiko Furukura, 36 ans et célibataire, qui dévoue son existence à son travail dans un konbini, autrement dit une supérette japonaise de quartier. Dans ce cadre, elle est une employée exceptionnelle, pleine de savoir-faire et d’initiatives efficaces. Hors de ce cadre, c’est une vieille fille qui vit d’un petit boulot, toujours pas mariée et sans enfants.

Sa vie bascule dans un premier temps quand elle accepte qu’un ancien collègue au chômage, Shiraha, vienne s’installer chez elle et dans un deuxième temps lorsqu’elle est obligée de prendre sa retraite, au bout de dix-huit ans de bons et loyaux services. 

Shiraha est un homme frustré et malveillant : frustré de ne pas être l’homme fort que les belles femmes désirent, tout en revendiquant le droit d’être un parasite de la société. Keiko devient alors une proie vulnérable idéale, un souffre-douleur à sa merci. Elle accepte en effet de vivre ce cauchemar parce qu’elle remarque que le regard de la société y compris de sa famille change de façon soudaine et bienveillante à son égard, depuis qu’on croit qu’elle est en couple...

On comprend au fur et à mesure de l’histoire que la protagoniste est une inadaptée de la société (par son manque d'ambition sociale malgré ses études, par son absence de frustration amicale, sentimentale, sexuelle) et que si le konbini la rassure autant, c’est parce que chaque chose y est répétitive et ritualisée. Le konbini est son seul refuge contre la société.

Avis : Bien que la cohérence de son propos soit imparable, je ne peux adhérer à la conclusion « heureuse » du récit. Par le million d’exemplaires vendu au Japon, j’en déduis que la pression insensée de la société sur l’individu y est pour beaucoup. Au début, le personnage principal considère l’uniforme de konbini en guise de masque social, afin que sa singularité ne soit pas démasquée. La fin s’empire lorsque la protagoniste évolue et finit par se considérer elle-même davantage comme une « vendeuse de konbini » qu’un être humain. Le konbini ne joue plus le rôle d'inclusion sociale (qu’il avait) mais a contrario de lieu d’affranchissement total du joug humain par un épanouissement physique et moral totalement dévoués au concept de supérette. On assiste bel et bien à une métamorphose kafkaïenne. Keiko devient le produit logique d’une déshumanisation de la société par la société elle-même envers les gens qui ne jouent pas le jeu social : elle devient un robot autonome et heureux. C’est affreux !
Je reconnais en revanche que le message est plus complexe qu'il n'y paraît. 

N.B. : L’auteure (née en 1979) a elle-même travaillé dans une supérette pendant 18 ans, ce qui lui permettait d’écrire ses romans, pour la plupart primés au Japon mais toujours pas traduits en français.

Citations :

Le patron du konbini, en parlant de Shiraha : « Sa vie est finie. Quel loser, un fardeau pour la société ! C’est le devoir de l’homme de contribuer à la bonne marche de la communauté, que ce soit par le travail ou en fondant une famille », p. 62.

Shiraha : « Cette boutique est remplie de minables, c’est toujours pareil avec les konbini, des ménagères dont le mari ne gagne pas assez, des freeters sans perspective d’avenir, et même les étudiants, ce sont les plus minables, ceux qui ne peuvent même pas décrocher un job de prof particulier, sans parler des travailleurs immigrés, tous des minables... », p. 66.

Shiraha : « Côté clientèle, ce n’est pas si mal, mais la plupart sont du genre dominantes. Vu que dans le quartier, il n’y a que de grandes entreprises, les femmes qui y travaillent sont toutes autoritaires, ça ne va pas. (…) Celles-là n’ont d’yeux que pour leurs collègues de bureau, elles ne me regardent même pas. Dans le fond, les choses n’ont pas changé depuis l’Antiquité. La plus jolie jeune fille du village épouse l’homme le plus apte à la protéger de ses muscles, laissant les individus les moins favorisés par la génétique se consolider entre eux. La société moderne n’est qu’une illusion ; notre monde n’a pas changé depuis l’ère Jômon. On a beau parler d’égalité entre les sexes... », p. 67 (Ère Jômon : -15 000 à 300 avant notre ère).

Shiraha : « J’ai passé ma vie à lire des manuels d’histoire pour comprendre pourquoi le monde allait si mal. Meiji, Edô, Heian, quelle que soit la période, le monde allait de travers. Même en remontant aussi loin que l’ère Jômon ! (Il abat le poing sur la table, renversant sa tasse au passage.) J’ai alors remarqué un truc : le monde n’a pas changé depuis l’ère Jômon. Les êtres inutiles sont éliminés. Les hommes qui ne chassent pas, les femmes qui ne produisent pas d’enfant. La société moderne a beau mettre en avant l’individualisme, toute personne qui ne contribue pas est écartée, neutralisée et pour finir, mise au ban de la communauté », p. 84

Shiraha : « Mais si on gratte la surface de notre société contemporaine, on trouve l’ère Jômon juste en-dessous. Les femmes se ressemblent autour de l’homme fort qui capture le gros gibier pour lui donner la plus belle fille du village en mariage. Si la chasse échoue, l’homme faible et inutile sera méprisé. Le système n’a pas du tout changé depuis. », p. 85

Idem : « À force de travailler à la supérette, tu vas finir vieille fille. Même vierge, tu as perdu ta primeur. Tu es repoussante. Si on était à l’ère Jômon, tu serais une de ces femmes esseulées qui errent sans but à travers le village et se flétrissent sans produire d’enfant. Tu n’es qu’un fardeau pour la communauté. En tant qu’homme, je peux toujours retourner la situation mais pour toi, c’est déjà trop tard », p.85.

Keiko : « Comme vous le disiez, le monde vit peut-être encore à l’ère Jômon. Les êtres inutiles à la communauté sont persécutés et bannis. Ce que je veux dire, c’est que le konbini fonctionne sur le même modèle. Tout employé inutile est viré. (…)

On n’a pas d’autre choix que de garder son poste le plus longtemps possible. Rien de plus simple : il suffit d’enfiler son uniforme et d’appliquer les règles du manuel. Il en va de même avec le monde à l’ère Jômon : si on enfile la peau d’une personne normale et qu’on applique les règles du manuel, la communauté nous laissera en paix. (...)

Autrement dit, il nous suffit d’interpréter le rôle d’un être fictif, une « personne normale » parmi les autres. De même qu’à la supérette, je joue le rôle d’un être fictif, une « vendeuse » parmi les autres », p. 87.

Keiko : « (…) Contrairement à vous, je me fiche de toutes ces choses. Je n’ai pas particulièrement d’amour-propre, je me contente très bien de suivre les règles de la communauté.

J’efface la période de ma vie où les gens me regardaient comme une anomalie. Une façon de me guérir, peut-être ?

Rien que ces deux dernières semaines, on m’a demandé quatorze fois: Pourquoi tu ne te maries pas ? Et douze fois : « Pourquoi toujours ce petit boulot ? » Autant commencer par éliminer la première question. », p. 88.

Shiraha : « Les gens ordinaires n’aiment rien tant que juger ceux qui sortent de la norme », p. 111.

Keiko : « J’ai enfin compris. Avant d’être un être humain, je suis une vendeuse de konbini. Même défaillante, même à la rue, mise au ban de la société, je ne peux plus fuir. Mon organisme tout entier est voué au konbini », p. 142.

« Envers et contre tous, je reste une vendeuse de konbini, proclamé-je. En tant qu’humain, certes, ta présence me facilite peut-être la vie et rassure mon entourage. Mais en tant qu’employée de supérette, je n’ai absolument pas besoin de toi ! », p. 142.

« Avisant ces bras et ces jambes conçus pour le konbini, il me semble pour la première fois avoir trouvé un sens à ma vie », p. 143. (je me demande si le mot originel en japonais est "ikkigaï" pour "sens à ma vie").

Biographie Wikipédia de l'auteure : "Sayaka Murata est la fille d'un juge et d'une femme au foyer. Elle a travaillé pendant presque dix-huit ans dans un konbini (supérette). Les horaires réguliers lui convenaient bien car elle pouvait écrire quand elle ne travaillait pas.


Biographie plus détaillée en anglais : https://en.wikipedia.org/wiki/Sayaka_Murata

Note perso : J’ai deux collègues qui partagent cette obsession du masque ou plutôt la peur d’être démasqué : l’un gérait sa peur par la prise de cocaïne + divers médocs et l’autre, par des anti-anxiolytiques quotidiens. Comme je suis la seule à avoir eu le privilège de mieux les connaître et par la même occasion, leurs secrets, ils m'ignorent tous les deux au travail, de peur que je ne grille leur couverture professionnelle. Youpi.

vendredi 1 mai 2020

TROIS PETITS HAÏKUS EN GUISE DE BOUQUETS DE MUGUET VIRTUELS POUR LE 1ER MAI 2020




Petit livre des mots inconnus au bataillon. Catherine Guennec, 2015.



Complément du dictionnaire de l'Académie française, 1843.

Complément du dictionnaire de l'Académie française, 1842.