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lundi 24 janvier 2011

Poetry de Lee Chang Dong (KOR), 2010. Sublime.



Poetry, Lee Chang Dong, 2010.
*****Chef-d’œuvre.

Vu le lundi 24 janvier avec Emmanuelle L.B. au cinéma Saint-André des Arts à Saint-Michel, 21h15.
Durée : 2h19

Histoire.
C’est l’histoire d’une grand-mère, Mija, qui commence à être touchée par la maladie d’Alzheimer et éduque seule son petit-fils parce que sa fille, seule aussi, est partie chercher du travail dans une autre ville. Elle est femme de ménage et auxiliaire de santé chez un homme handicapé de son âge : c’est son unique source de revenus.
 Au moment où elle décide de s’inscrire à un cours de poésie, elle apprend que son petit-fils de quatorze ans a participé à un viol collectif sur une jeune collégienne qui vient de se suicider.
Les parents des autres garçons ne pensent qu’à l’avenir de leurs enfants et se mettent d’accord pour payer trente millions à la mère de la jeune fille, une paysanne qui avait déjà perdu son mari. La grand-mère ne possède pas cet argent, mais là n’est pas le problème que pose le film…

Critique.
Ce film nous fait voir la cohabitation et la confrontation de l’aspect le plus sublime de l’homme avec son aspect le plus vulgaire, le plus bas, le plus vil. Entre Poetry et Star Wars, il y a peu de différences dans le fond. C’est sur la forme que porte la différence. Subtile. Tout cela en un seul film. C’est fort, c’est violent, c’est beau.
Le rythme est lent et impatientera tous ceux qui n’ont pas l’habitude d’attendre de cueillir des émotions au sommet de montagnes.  Aucune longueur n’est toutefois gratuite : chaque silence est chargé de non-dits auxquels on est plus ou moins réceptifs.  La scène de badminton entre le policier et la grand-mère illustre parfaitement cela : il ne s’agit pas de montrer une partie de badminton entre deux personnes ; il s’agit de laisser le temps au spectateur d’imaginer ce que peut ressentir la grand-mère à ce moment-là précis du film. Sans le contexte émotionnel, cette scène isolée n’a effectivement aucun intérêt et encore moins à durer.
Que le futur spectateur ne s’inquiète pas : la fin du film est une apogée qui le récompensera de toute façon en le submergeant et l’inondant de beauté et de bonheur et tristesse à la fois.
Les amoureux de Won Kar-Waï et de Kitano comprendront et aimeront ce film.
Mention spéciale à Yun Junghee est une actrice coréenne extraordinaire reconnue dans son pays qui n’avait pas tourné depuis quinze ans. Le fait qu’elle n’ait pas gagné le prix d’interprétation féminine au profit de Juliette Binoche est tout simplement un scandale, on aurait pu avoir au moins un ex-aequo. Elle vit à Paris, mariée à un musicien coréen et elle est francophone. J’aimerais la voir avant sa mort.

Extrait d’interviews :
Lee Chan Dong : « Même si la volonté de faire ce film remonte à une question que je pose depuis l'adolescence (pendant laquelle j'ai commencé à écrire) : Quelle est la force d'un vers, d'une ligne ? Quelle est son utilité ? C'est une question que tous les artistes et tous les créateurs peuvent se poser. Une question que l'on se pose depuis la nuit des temps et à laquelle il n'y a aucune réponse universelle. C'est une question que l'on se pose souvent en Corée : Est-ce que la poésie peut nourrir (n'est-elle pas un geste gratuit) ? Le point de départ a été l'envie de parler de personnes dont la vie n'est pas régie par les valeurs monétaires. »

Lee Chang Dong : « Je ne fais pas vraiment de différence entre les femmes et les hommes mais pour Secret Sunshine le film parlait de la souffrance de la vie, et j'avais l'impression que les femmes étaient beaucoup plus sensibles que les hommes aux sentiments et à ce qui se passe dans leur entourage. Ce film parle de poésie et de la quête de la beauté. Le personnage principal est à la recherche de la beauté pour pouvoir écrire son poème. C'est comme la vie, il n'y a pas que de la beauté, il y a également la laideur, la souffrance et la tristesse. En allant au-delà de ces éléments là, en les trenscendant, on arrive à percevoir la vraie beauté autour de nous. Pour cette raison, il n'y a qu'une femme qui pouvait tenir le rôle principal. »

Extrait d’un article du Monde (la référence à George Orwell est vraiment pertinente) :
"Durant ses séances de poésie, Mija reproche à un des membres du club, un policier à la retraite, alcoolique et grivois, d'insulter par ses saillies l'idée de poésie elle-même. Comment ne pas y voir l'expression symbolique d'une quête plus large, quasiment politique ? Mija, formidablement interprétée par Yun Jung-hee, est l'incarnation d'une exigence des plus hautes, proche de cette morale des opprimés que George Orwell avait baptisée "common decency", et qui semble désormais inutile face à l'indifférence, à l'insensibilité de l'époque actuelle. Ce n'est qu'à la fin d'un film qui prend le temps d'évaluer toutes les données d'une pure équation morale que Mija trouvera peut-être la solution."