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samedi 19 février 2011

Le livre de sable, Jorge Luis Borges, 1975 (ARG).


Le livre de sable, de Jorge Luis Borges, 1975 (ARG).
Nouvelles.

Editions Gallimard, Collection folio, 1978. Lecture achevée le samedi 19 février 2011.

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Critique : aucune nouvelle n’a modifié mon regard ni sur l’existence, ni sur la littérature.
Toutefois Borges a le mérite d’être un véritable passeur de mémoire littéraire : il fait référence à de nombreux ouvrages littéraires qui me sont totalement inconnus.
Un thème prédomine le recueil par ailleurs : le Temps, entre passé, présent et futur. Ses nouvelles foisonnent de mythes et légendes (souvent nordiques), de fantastique, d’étrange et de merveilleux.
On sent aussi derrière la plume un homme bon, simple, sobre, posé, autrefois fougueux, autrefois passionné.

Je vends mon exemplaire à 3 euros.

L’autre : l’histoire du moi présent qui rencontre son moi passé, jeune.

Citations :

« Je peux te prouver que je ne mens pas. Je vais te dire des choses qu’un inconnu ne pourrait pas savoir. (…) Dans l’armoire de ta chambre il y a deux rangées de livres. Les trois volumes des Mille et une Nuits de Lane, illustrées d’eaux-fortes et avec des notes en petits caractères entre les chapitres, le dictionnare latin de Quicherat, la Germanie de Tacite en latin et dans la traduction de Gordon, un Don Quichotte de chez Garnier, les Tablas de Sangre de Rivera Indarte, avec une dédicace de l’auteur, le Sartus Resartus de Carlyle, une biographie d’Amiel et, cachée derrière les autres, une brochure sur les mœurs sexuelles des peuples balkaniques. », p.9-10

« Père, toujours avec ses plaisanteries contre la foi. Hier soir il a dit que Jésus était comme les gauchos qui veulent jamais se compromettre, et que c’est pour ça qu’il prêchait en paraboles », p.12

« Je vis qu’il serrait un livre entre ses mains. Je lui demandai ce que c’était.
- Les Possédés ou, à mon sens, les Démons de Fedor Dostoïevski, me répliqua-t-il non sans vanité.
- Je l’ai pratiquement oublié. Comment est-ce ?
Dès que j’eus parlé, je compris que ma question était un blasphème.
- Le maître russe, trancha-t-il, a pénétré plus avant que personne dans les labyrinthes de l’âme slave. 
(…) Je lui demandai quels autres livres de ce maître il avait parcourus.
Il énuméra deux ou trois titres, dont Le Double.
Je lui demandai si, en les lisant, il distinguait bien les personnages, comme chez Joseph Conrad, et s’il comptait poursuivre l’examen de l’œuvre complète.
- A vrai dire non, me répondit-il un peu surpris. », p.13

« Il me vint brusquement une idée.
- Je peux te prouver immédiatement, lui dis-je, que tu n’es pas en train de rêver de moi. Ecoute bien ce vers que tu n’as jamais lu, que je sache.
Lentement, je déclamai le vers célèbre :

L’hydre-univers tordant son corps écaillé d’astres
Je sentis sa stupeur presque craintive. Il le répéta à voix basse, savourant chacun des mots resplendissants.
-C’est vrai murmura-t-il. Je ne pourrai jamais, moi, écrire un tel vers.
Hugo nous avait réunis. », p.16

« Auparavant, il avait répété avec ferveur, je m’en souviens maintenant, le court poème où Walt Whitman se remémore une nuit partagée devant la mer et au cours de laquelle il avait été vraiment heureux.
- Si Whitman l’a chantée, observai-je, c’est parce qu’il la souhaitait et qu’elle n’eut pas lieu. Le poème est plus beau si nous devinons qu’il est l’expression d’un désir et non pas le récit d’un fait.
Il me regarda un long moment.
-Vous le connaissez mal, s’écria t-il. Whitman est incapable de mentir. », p.16

Ce passage m’a beaucoup touchée parce qu’il a un rapport direct avec le passage sur la mer, précisément de John Fante : celle dont il est persuadée qu’elle a existé alors qu’elle n’existe pas, celle qui est son cœur et par conséquent, sa mémoire. Cette mer, qui est aussi représentée dans le tableau de Munch, est l’idéal inaccessible que l’on rêve, que l’on tente de vivre maladroitement, que l’on écrit.

« Un demi-siècle ne passe pas en vain. Au travers de cette conversation entre personnes de lectures mélangées et de goûts divers, je compris que nous ne pouvions pas nous comprendre. Nous étions trop différents et trop semblables. (…). Chacun des deux était la copie caricaturale de l’autre. », p.17

« Nous n’avons pas changé, pensai-je. Toujours les mêmes références livresques. », p.18

« Je répondis que le surnaturel, s’il se produit deux fois, cesse d’être terrifiant », p.18

Ulrica : L’histoire d’une rencontre avec une femme norvégienne belle et cultivée avec qui il passe une nuit.

« J’appris par la suite que cela ne lui ressemblait pas, mais ce que nous disons ne nous ressemble pas toujours », P.21

« - Ce n’est pas la première fois que les Norvégiens entrent dans York, remarqua une des personnes présentes.
- C’est vrai, dit-elle. L'Angleterre nous appartenait et nous l’avons perdue, si tant est qu’on puise posséder quelque chose ou que chose puisse se perdre. », p.21

« Elle me dit qu’elle aimait se promener seule.
Je me souvins d’une plaisanterie de Schopenhauer et je lui répondis :
- Moi aussi. Nous pouvons donc sortir ensemble. », p.22

« Dans Oxford Street, me dit-elle, je mettrai mes pas dans les pas de De Quincey, à la recherche d’Ann, perdue dans la foule de Londres.
- De Quincey, répondis-je, a cessé de la chercher. Moi, d’année en année, je la cherche encore. 
- Il se peut, dit-elle à voix basse, que tu l’aies trouvée. 
Je compris qu’une chose inespérée ne m’était pas interdite et je posai mes lèvres sur sa bouche et sur ses yeux. »,p.23

« Je ne commis pas l’erreur de lui demander si elle m’aimait. Je compris que je n’étais pas le premier et que je ne serais pas le dernier. Cette aventure, peut-être l’ultime pour moi, n’en serait qu’une parmi bien d’autres pour cette resplendissante et résolue disciple d’Ibsen.
Nous reprîmes notre chemin la main dans la main.
- Tout ceci est comme un rêve, dis-je, et je ne rêve jamais. », p.24

«  - Je voudrais que ce moment dure toujours, murmurai-je.
- Toujours est un mot interdit aux humains, affirma Ulrica (…) », p.25

« Elle m’appela par mon véritable nom, Javier. (…) Il n’y avait pas d’épée entre nous deux. Le temps s’écoulait comme du sable. Séculaire, dans l’ombre, l’amour déferla et je possédai pour la première et pour la dernière fois l’image d’Ulrica. », p.26

Le Congrès : est l’histoire d’un « projet de créer un Congrès du  Monde qui représenterait tous les hommes de toutes les nations », une utopie. Ils n’arriveront pas à concrétiser leur projet car n’arrivent pas à s’entendre sur les livres qui constitueraient une bibliothèque mondiale « témoin » et dépensent trop d’argent. Ils finissent par brûler tous les livres achetés et à se séparer.

« Par indécision, par négligence ou pour d’autres raisons, je ne me suis pas marié, et maintenant je vis seul. (…) Quand j’étais jeune, j’avais de l’attirance pour les crépuscules, pour les faubourgs et pour le malheur ; aujourd’hui, j’aime les matinées en plein cœur de la ville et la sérénité. Je ne joue plus les Hamlet. Je me suis inscrit à un club conservateur et à un club d’échecs, que je fréquente en spectateur, parfois distrait. », p.28

« Il nous dit, dans son habituel langage fleuri, que la bibliothèque du Congrès du Monde ne pouvait s’en tenir à des ouvrages de consultation et que les œuvres classiques de tous les pays et de toutes les langues constituaient un véritable témoignage que nous ne pouvions négliger sans danger », p.46

« (…) mais Béatrice Frost, comme Nora Erfjord, était une adepte de la religion prêchée par Ibsen, et elle ne voulait s’attacher à personne. », p.49

« Elle ne voulut pas voir le bateau ; les adieux, à son avis, étaient de l’emphase, la fête insensée du chagrin, et elle détestait les emphases. Nous nous dîmes adieu dans la bibliothèque où nous nous étions rencontrés l’autre hiver. Je suis un homme lâche : je ne lui donnai pas mon adresse pour m’éviter l’angoisse d’attendre des lettres », p. 49

« Le Congrès, c’est –je le sais maintenant- le monde entier. (…) Le Congrès, c’est les livres que nous avons brûlés. Le Congrès, c’est les Calédoniens qui mirent en déroute les légions des Césars. Le Congrès, c’est Job sur son fumier et le Christ sur sa croix. Le Congrès, c’est ce garçon inutile qui dilapide ma fortune avec des prostituées. », p.54

« - Moi aussi, don Alejandro, je suis coupable. J’avais terminé mon rapport, que je vous apporte ici, et je me suis attardé en Angleterre à vos frais, pour l’amour d’une femme. », p.54

There are more things : histoire fantastique à la Poe, en moins bien. Il va dans la maison de son oncle décédé, qui est hantée par des êtres fantastiques.

Mot appris : AMPHISBÈNE, subst. masc.
ERPÉTOLOGIE. Reptile saurien annelé de la famille des amphisbénidés, dont la queue est aussi grosse que la tête et auquel les Anciens attribuaient le pouvoir de se déplacer aussi bien en avant qu'en arrière.

La Secte des Trente : nom d’une secte catholique hérétique qui fait des trucs de oufs.

Raison du nom donné à la secte :
« De volontaires, il n’y en eut que deux : le Rédempteur et Judas. Ce dernier jeta les trente pièces qui étaient le prix du rachat des âmes et aussitôt après il se pendit. Il avait trentre-trois ans, comme le Fils de l’Homme. La Secte les vénère tous deux à égalité et elle absout tous les autres.
« Il n’y a pas un seul coupable ; il n’y en a pas un qui soit autre chose qu’un exécutant, conscient ou non, du plan tracé par la Sagesse. Tous partagent maintenant la Gloire.

La nuit des dons : histoire qui m’a saoulée, j’ai dû la relire plusieurs fois sans m’y intéresser.
Le miroir et le masque : L’histoire d’un poète à la cour irlandaise qui la première fois n’étonne pas le roi et ne le satisfait pas. La deuxième fois il y parvient inspiré de façon mystique au réveil. Le Roi avait donné deux cadeaux pour le premier : le miroir et le masque, le troisième est une dague pour ce poème : le poète se suicide et le Roi mendie. L’idée c’est qu’une fois qu’on a connu la Beauté, on ne peut plus vivre.

« Celui que désormais nous sommes deux à avoir commis, murmura le Roi. Celui d’avoir connu la Beauté, faveur interdite aux hommes. Maintenant il nous faut l’expier. », p.91

UNDR :  Encore une histoire à laquelle je n’ai pas été attentive. Se passe dans un pays nordique, celui des Urniens.

« J’aurais voulu que ce chant durât toujours et devînt ma vie », p.97.

« Qu’as-tu reçu de la première femme qui s’est donnée à toi ? me demande-t-il.
« - Tout, lui répondis-je.
«  - La vie, à moi aussi, m’a tout donné. A tous la vie donne tout mais la plupart l’ignorent. Ma voix est fatiguée et mes doigts sans force, mais écoute-moi.
« Il prononça le mot Undr, qui veut dire merveille. », p.100

Utopie d’un homme qui est fatigué : Je ne suis pas sûre d’avoir compris le message de cette nouvelle mais il me semble que Borges veut nous faire comprendre l’importance de la mémoire. De l’histoire. On devrait comprendre que sans mémoire on dit et fait n’importe quoi, que la vie n’a pas de sens. C’est ma nouvelle préférée du recueil, à son ton triste et mélancolique (l’homme fatigué).

« Je me demandai, sans y attacher trop d’importance, si j’étais dans l’Oklaoma ou au Texas, ou bien dans la région qu’en littérature on appelle la pampa. », p.101
« Dans nos écoles on nous enseigne le doute et l’art d’oublier. Avant tout l’oubli de ce qui est personnel et localisé. Nous vivons dans le temps, qui est succession mais nous essayons de vivre sub specie aeternitatis. Du passé il nous reste quelques noms que le langage tend à oublier. Nous éludons les précisions inutiles. Plus de chronologie ni d’histoire. Il n’y a plus non plus de stastistiques. Tu m’as dit que tu t’appelais Eudoro ; moi je ne puis te dire comment je m’appelle, car on me nomme simplement quelqu’un. », p.104
«- A cent ans, l’être humain peut se passer de l’amour et de l’amitié. Les maux et la mort ne sont plus une menace pour lui. Il pratique un art quelconque, il s’adonne à la philosophie, aux mathématiques ou bien il jour aux échecs, solitairement. Quand il le veut, il se tue. Maître de sa vie, l’homme l’est aussi de sa mort.
- Il s’agit d’une citation ? lui demandai-je.
- Certainement. Il ne nous reste plus que des citations. Le langage est un ensemble de citations. », p. 108
« - Que sont devenus les gouvernements ? demandai-je.
- La tradition veut qu’ils soient tombés petit à petit en désuétude. Ils procédaient à des élections, ils déclaraient des guerres, ils établissaient des impôts, ils confisquaient des fortunes, ils ordonnaient des arrestations et prétendaient imposer la censure mais personne au monde ne s’en souciait. La presse cessa de publier leurs discours et leurs photographies. Les hommes politiques durent se mettre à exercer des métiers honnêtes ; certains devinrent de bons comédiens ou de bons guérisseurs », p.109
« - C’est le crématoire, dit quelqu’un. A l’intérieur se trouve la chambre de mort. On dit qu’elle a été inventée par un philanthrope qui s’appelait, je crois, Adolf Hitler. », p.111.
Le stratagème : l’histoire d’un universitaire qui va inventer un stratagème pour obtenir le poste qu’il convoite : sachant la qualité d’un homme à toujours accepter les points de vue différents du sien ; il fait exprès de l’attaquer car il sait qu’il fait partie du jury et que malgré les attaques, il va le choisir lui, pour prouver qu’il est ouvert d’esprit. Après avoir réussi son coup, il avoue son stratagème ; l’autre reconnaît qu’il a pêché d’orgueil de son côté.
« Cependant, nous ne sommes pas si différents. Un péché nous unit : l’orgueil. Vous, vous m’avez rendu visite pour vous vanter de votre ingénieux stratagème ; moi, j’ai appuyé votre candidature pour pouvoir me vanter d’être un homme probe.
-Une autre chose nous unit, répondit Einarsson : la nationalité. Je suis citoyen américain. Mon destin est ici, non dans la lointaine Thulé. Vous me direz qu’un passeport ne modifie pas le caractère d’un homme.
Ils se serrèrent la main et se quittèrent. », p.122-123.

Avelino Arredondo : Fait réel de 1897 à Montevideo. L’histoire d’un homme timide dont tout la bande d’amis se moque souvent, toujours silencieux. Petit employé dans une mercerie, étudiant le droit à ses moments perdus, ne se prononce jamais quand ses amis se plaignent du président qui fait durer la guerre. Du jour au lendemain, il quitte sa petite-amie qu’il aime ainsi que ses amis pour se préparer en reclu, à accomplir son destin. L’histoire serait vraie et une rue porte son nom aujourd’hui, Borgès n’approuve pas le crime politique, malgré Charlotte Corday et Brutus.
« Vers le milieu de son temps de réclusion Arredondo parvint plus d’une fois à vivre ce temps presque hors du temps. Il y avait dans la cour du devant un crapaud au fond ; il ne lui vint jamais à l’idée que le temps du crapaud, temps voisin de l’éternité, était cela même qu’il souhaitait », p. 129.
Le disque : Un homme rencontre un autre homme qui prétend avoir reçu un disque d’Odin. Il se trouve qu’il voit en effet un éclair. Il tue le vieil homme pour posséder le disque, voit l’éclair de nouveau mais le disque disparaît.
Le livre de sable : Un homme reçoit chez lui un V.R.P. de bibles qui lui propose un livre spécial qui n’est pas une bible : les pages ne s’arrêtent jamais à l’infini et leur numérotation est arbitraire, c’est le livre de sable. Il a aussi des illustrations qui apparaissent puis disparaissent, qu’on ne voit qu’une fois puis plus jamais. N’ayant pas les moyens de l’acheter, l’homme décide de lui donner toute sa retraite et la Bible de Wiclef en caractères gothiques. Mais il a tellement peur qu’on le lui vole qu’il abandonne toute vie sociale. Il comprend que ce livre est maudit et décide de le ranger incognito dans les rayons de la Bibliothèque nationale où il travaillait avant. Il est soulagé mais n’ose même plus passer rue Mexico.