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mardi 15 février 2011

DIADORIM DE JOAO GUIMARAES ROSA, 1956 (BRÉSIL)





LECTURE ACHEVEE LE MARDI 15 FEVRIER 2011.

« Le jagunço est comme ça, il se fâche pas d’une défaite ni d’une déroute, il s’en fout presque, j’ai jamais vu ça. Pour lui, la vie est bien réglée : manger, boire, jouir des femmes, se battre, et puis la fin des fins. Tout le monde est-il pas comme ça ? », p.45

« Mais j’aimais Diadorim pour ce qu’il savait que ces Gerais sont beaux » p.45

« (…) le dégoût est une invention de Celui-qu’existe-pas pour empêcher qu’on ait pitié. », p.47
(Celui-qu’existe-pas : le démon).

« Je suis né pour jamais trouver un homme qu’ait les mêmes goûts que moi. », p.48
« L’amour ? Un oiseau qui pond des œufs de fer. Le pire, c’est quand j’ai commencé de passer des nuits blanches, sans jamais pouvoir dormir. C’était de Diadorim dont il s’agissait. Il laissait rien paraître de ce qu’il pensait ou même soupçonnait. Je crois que j’étais comme ça aussi. Je voulais en savoir plus que lui ? Oui et non. C’est parce qu’on conserve secrète une idée absurde qu’elle a pas de conséquence. Je suis retourné à la froide raison. Maintenant que Monsieur voie comment va le destin : j’ai rapporté cette topaze pour la donner à Diadorim et elle a fini par être un cadeau pour Otacilia. Aujourd’hui, elle orne la main de ma femme. », p.49

« Vivre, c’est une suite d’erreur », p.55

« Y a des moments, je crois, qu’on a besoin de s’éveiller d’une sorte d’enchantement où gens et choses sont pas réels ! Et c’est de ça que peu à peu on éprouve un vague regret ? Est-ce qu’on aurait déjà tous vendu nos âmes ? », p.65 (suite à une conversation avec Diadorim qui lui dit des choses charmantes et affectueuses).

« Ce qu’une personne bien instruite peut inventer comme choses presque vraies ! ça peut emplir le monde d’autres mouvements, sans les tours et détours de notre vie mal foutue. Une vie déguisée ? En quelque sorte ? », p.66

« Dans la vraie vie, les choses finissent moins grandement, elles finissent même pas. Ça vaut mieux. S’obstiner à trouver l’exactitude, ça se termine par une erreur. On en veut pas. Vivre, c’est très dangereux… », p.66

« J’aimais Diadorim d’une façon interdite, je pensais même pas que j’aimais, mais je savais déjà alors que j’aimais pour toujours… », p.72

« Je voudrais comprendre la peur et le courage, l’envie qui vous porte à faire des tas de choses, à trouver de l’intérêt dans la réussite. Ce qui vous incite à faire des actes étranges, c’est ce qu’on est tout près de ce qui est vraiment à vous, et on le sait pas, le sait pas, le sait pas ! », p.77

Problème p.87-88 : Riobaldo est invité souvent par une famille turque, mais il dit qu’ils parlent arabe, or les Turcs ne parlent pas arabe. « J’ai surtout goûté la viande hachée avec des grains de blé, d’autres ragoûts, une bonne farce dans des courgettes ou des feuilles de vigne, et cette façon de confire le gombo dans la vinaigre…une cuisine de première. Les sucreries aussi. J’ai bien estimé sieur Assis Wababa, sa femme dona Abadia, même les enfants, les petits frères à Rosa’uarda, mais très différents d’âge. La seule chose qui me gênait, c’était la langue gutturale qu’ils parlaient entre eux, l’arabe. », p.88

« Malgré tout j’affirme que Rosa’uarda m’a aimé, elle m’a enseigné les premiers libertinages, et les libertinages complets auxquels on s’est livré ensemble, cachés au fond du jardin, me remplissaient d’anxiété et de délectation. Elle me disait des câlineries turques, m’appelait : « Mes yeux ! » Mais ses yeux à elle étincelaient d’exaltation, extraordinairement noirs, d’une beauté singulière. Toute ma vie j’ai beaucoup aimé ce qu’est étranger. », p.88

è Ben sa Rosa’uarda, la façon dont il en parle, c’est mon Ludo à moi que j’ai aimé de tout mon cœur, mais c’était moi l’étrangère…D’ailleurs il ne l’inclut pas dans ses amours (p.106), mais dans son apprentissage sexuel, ce qui est fort vexant, car Rosa’uarda l’a aimé, merde.

« Je vais dire à Monsieur une chose qu’on connaît guère : quand on commence à avoir de l’amour pour quelqu’un dans le courant journalier, cet amour prend et grandit parce qu’en quelque sorte on veut que ça soit, dans sa pensée, on le désire et y aide ; mais, quand c’est fixé par le destin, on aime fatalement, sans avoir besoin de le désirer ; on se trouve d’un coup devant la surprise. Un amour pareil, ça pousse d’abord, ça jaillit qu’après. », p.105

Amour « ordinaire » : Otacilia.
Amour « destin » : Diadorim.
« Otacilia était une pure créature de beauté. Je raconterai ça plus tard, y a du temps pour tout. Le mal, chez moi, quand j’allais et venais, c’était que je parvenais pas à équilibrer une main avec l’autre, l’amour et l’amour. Peut-on ? Des fois je me dis : « Si cet amour est venu de Dieu, tel qu’il est venu, de qui est venu l’autre ?... » Un rude tourment. Avec moi, rien n’a d’aujourd’hui ni d’avant-hier, c’est du toujours. Des tracas. J’ai mes fautes, je le dis franchement. Mais quand ces fautes ont commencé ? Monsieur comprend pas bien, peut-être qu’à la fin il comprendra. Mais la vie, ça se comprend pas. », p.106

« Mais le plus curieux et le plus joli de tous, d’amont en aval, comme m’a dit Reinaldo, était encore le manuelzinho-da-crôa, le chevalier-des-sables. (…) De tous les plus gentils oiseaux, le chevalier-des-sables est le plus beau. », p.108
Film sur cet oiseau : The Sandpiper, 1965, avec Elizabeth Taylor et Richard Burton.(je l'ai regardé du coup : c'est un film féministe qui pose des questions encore actuelles : la femme intelligente et libre est une pute ; la femme gentille et douce est la mère au foyer).

« Dès cette heure, j’ai reconnu que Reinaldo pouvait dire n’importe quoi et j’en étais retourné », p.109.

« Je parle pas de nos autres compagnons, je m’en tenais à l’écart, de braves gars bien ordinaires, de simples croquants du pauvre Nord, voilà ce qu’ils étaient. C’était pas par orgueil personnel, simplement par manque de patience ; je crois que j’ai jamais aimé les êtres qui se contentent de peu. Je suis comme ça. » p.112.

« Tu sais pas que l’homme tout à fait vaillant peut pas avoir autre chose qu’un bon cœur ! » Il m’a dit ça, je l’ai retenu. J’ai réfléchi, pensé, repensé. Pour moi, ce qu’il venait de dire était pas toujours vrai. (…) Et Monsieur verra à la fin que cette vérité sert à augmenter encore ma honte et mon affliction. », p.113 (Reinaldo à Riobaldo).

« Mais j’avais surtout envie d’être seul. Même Reinaldo m’était d’aucun secours. Je suis seul, je veux être seul, j’aime être seul dans les heures difficiles. C’est ça que je cherche, Reinaldo était à côté de moi, et l’angoisse de ma peur me faisait n’y accorder aucune valeur. Un homme comme moi, être triste auprès d’un ami l’affaiblit. J’aurais même souhaité être désespéré, un calme désespoir est parfois le meilleur remède, il détache du monde, vous libère. La peur vous prend par les racines. J’ai continué de marcher. Puis soudain y a eu en moi une lueur, une grande idée, une étoile d’or.  Et j’ai vu que c’était là mon recours.
(…) compère Quelemem m’a appris qu’on peut réaliser tous ses désirs si pendant sept jours d’affilée on a la constance de faire tout ce qui vous déplaît, dégoûte, chagrine et fatigue, et de renoncer à tout plaisir. Il l’a dit. Je le crois. Il m’a aussi enseigné qu’il était encore mieux et meilleur de répudier même ce premier désir qui vous a donné du courage pour ces pénitences, et de vouer tout à Dieu qui vient alors vous donner des buts plus élevés, vous payant et vous repayant des intérêts sans limite. Ça, c’est de compère Quelemem. Une sorte de prière ?
Bon. Cette nuit-là, j’arrivais pas à prier. J’y ai même pas pensé. (…). Voilà : pendant ce jour qui venait, je fumerais pas, même si j’en avais très envie, je dormirais pas, je me reposerais pas, ni assis, ni couché. Et puis je rechercherais pas la compagnie de Reinaldo, ni sa conversation, ce que j’aimais plus que tout. J’ai décidé ça et en ai été tout aise. La peur a quitté ma poitrine, mes jambes. Les serres de la peur se relâchaient déjà. », p.114-115.

C’est exactement ce que j’ai fait sans avoir lu ce passage (ou presque) : j’ai rejeté ce que je désirais le plus au monde ; je me suis dit qu’il fallait avoir un but personnel plus élevé (j’en ai un) et ça va mieux depuis, ça ne m’a pas enlevé de peur (que je n’avais pas), mais du chagrin.
« « Alors, mon vrai nom, c’est Diadorim…Garde ce secret pour toi. Quand on sera seuls, tu devras m’appeler Diadorim, je te le demande Riobaldo. » C’était si étrange que je suis longtemps resté à répéter ce nom pour m’y habituer. Il m’a donné la main. Cette main m’a transmis une certitude. Et ses yeux. Ses yeux qu’il fixait sur moi, éloquents, preque tristes à force d’être grands. Son âme se peignait sur son visage. J’ai deviné ce que nous désirions tous deux, que je dise maintenant : « Diadorim, Diadorim ! » avec une grande affection. Il a souri gravement. Et je l’aimais, je l’aimais, l’aimais…Alors j’ai ardemment désiré qu’il ait besoin de ma protection toute sa vie, moi, combattant pour lui, le défendant. Ses yeux surtout me troublaient, d’autant plus qu’ils ne m’affaiblissaient pas. Diadorim… », p.117

« Il m’aimait avec son âme », p.119 (Riobaldo parlant de Diadorim).

« Alors j’étais différent de tous les autres ? Oui. Heureusement pour moi. Tous ces gens sans aveu, passant jour et nuit à se reposer, à se chamailler, à boire, à manger tout le temps. « T’as mangé, loup ? » Et puis ils se disaient des tas d’âneries (…) », p.128
 Johnatan Livingstone le Goéland de Richard Bach a été écrit après, version bandit brésilien.

« Pour moi, un ami c’est autre chose. C’est pas un accord pour rendre ou recevoir un service, c’est pas une aide mutuelle même si les autres en pâtissent. Pour moi, un ami est une personne avec qui on aime à parler d’égal à égal, sans arme, celui dont le voisinage vous rend heureux. Presque rien d’autre », p.134.

« Mon corps aimait le sien, en spectateur. Enormément. », p.135

« Je l’ai pas fait. Peut-être j’ai même pas pensé vraiment à Diadorim, ou alors comme simple excuse. Une excuse pour ma conduite. Plus on tombe bas, plus on veut se respecter soi-même. De moi, j’accepte tous les mensonges. Monsieur est pas pareil ? On l’est tous. Mais j’ai toujours été un fuyard, au point que j’ai fui la nécessité d’une fuite. » (lol), p.137

Ça c’est du Bardamu tout craché. Donc Riobaldo voulait se barrer, ne plus être jagunço, l’a proposé à Diadorim qui n’a pas voulu (veut venger son père) mais ne l’a finalement pas fait.
« Aujourd’hui je sais, c’était une peur réfléchie. Peur de me tromper. Je l’ai toujours eue. Ma patience, c’est seulement la peur de me tromper. Monsieur le croit ? Si on pouvait se débarrasser de la peur de se tromper, on serait sauvé. Monsieur comprend mon idée ? », p.137

« L’homme a-t-il été fait pour être seul ? Oui, mais je le savais pas. », p.138

Monsieur comprendra ? Moi, je comprends pas. Cet Hermogenes me faisait ses amabilités. Je plaisais à un démon pareil. Il me saluait toujours avec estime, me lançait une amicale plaisanterie, quelques bonne paroles, on l’aurait jamais pris pour le chef. Par courtoisie et vu ma situation, j’étais bien obligé de répondre. C’était difficile. Ça m’irritait. Il me dégoûtait, je l’ai déjà dit à Monsieur. Une aversion née au fond de moi-même. Jamais je l’ai regardé dans les yeux. Un dégoût éternel, raison de plus pour tenir mes distances. Pour moi cet homme existait pas. », p.139

Qui n’a pas vécu cet inconfort horrible de devoir répondre à un chef qui essaye d’être gentil avec nous et qu’on peut pas supporter ?
 « Moi, j’aime être tranquille loin des gens au pouvoir, même quand je les connais bien. (…) Personne peut me changer avec des cadeaux et de belles paroles. », p.139

« Elle était souriante et jolie à croquer, mais aujourd’hui, Monsieur comprend, ça lui conviendrait plus beaucoup, ça me gênerait plutôt d’en parler. », p.140 (ah ah)

« Epousez-moi » a murmuré Otalicia.(…). Quant aux autres, les femmes livres, dissolues, elles répondaient : « Couchez-avec-moi… » C’est ça que m’aurait certainement répondu cette jolie Nhorina, la fille à l’Ana Duzuza, aux confins des gerais, qui m’a aussi aimé et que j’ai aimée. Ah, la fleur d’amour a beaucoup de noms ! Nhorina, prostituée, piment blanc, bouche parfumée, haleine d’enfant. Ma vie est bien confuse, comme le rio Urucia, qui va se jeter dans la mer. », p.141

« Il m’aimait, effet du destin. Et moi, comment expliquer à Monsieur la puissance de l’amour que j’ai éprouvé ? Ma vie le prouve. Un amour qu’avait pas de limite. Je serais allé jusqu’au bout du monde…Diadorim me tenait complètement enchaîné. »
« Mais je voulais pas aimer Otacilia de la même façon, bien que je me sois jamais souvenu de Rosa’uarda avec mépris. Je crache pas dans le plat après m’être régalé. (…) J’ai soigneusement préparé tout ce que je dirais. Je voulais parler d’un cœur fidèle, prononcer des paroles passionnées. Dire des poésies. Mais ce que je voulais sincèrement, c’était –comme on raconte dans les livres, Monsieur sait : bien voir, bien faire, bien aimer. », p.143.

« (…) j’avais nié et renié Diadorim que j’aimais tant. C’est ce que j’ai senti. Le soleil s’est couché », p.144
« Riobaldo, tu aimes cette fille ? »
(…)
« Non, Diadorim. Non, je ne l’aime pas. » J’ai nié et renié, mon âme était soumise. », p.145

è Passage de Faulkner similaire et chez Fante aussi : toujours la même chose.

« Monsieur sait que ç’a toujours été mon idée, je veux que le bon soit bon et le mauvais mauvais, un côté noir et l’autre blanc, le laid bien séparé du beau et la joie loin de la tristesse ! Je veux que les pâtures soient délimitées…Comment puis-je marcher avec ce monde ? La vie est bien ingrate malgré toute sa douceur. Mais l’espérance apparaît au milieu du fiel du désespoir. Enfin, ce monde est bien embrouillé… », p.162

« Mes efforts pour oublier Diadorim me donnaient une grande tristesse, une lassitude. Mais je pensais pas au passé, je m’y arrêtais pas. C’était un moment bien dur, mais il le fallait. L’eau du fleuve qui s’écoule. Des jours qui duraient, duraient. Maintenant je m’en souciais plus. Monsieur sait, aujourd’hui, je trouve que nos sentiments tournent, mais ils tournent entre eux. La grande joie tourne à la peur, la peur à la haine, la haine au désespoir, hein ? Le désespoir a du bon quand il tourne à la grande tristesse, tout comme un amour…une grande nostaligie…alors naît un nouvel espoir. Mais la braise de chaque chose, c’est toujours le même charbon. Une idée à moi que je trouve sensée. », p.170

« Mais d’autres fois j’avais le sentiment qu’on pouvait pas avoir pitié du démon, aucune, et voilà pourquoi : le démon s’amène en douche, tout doux, jouant l’innocent, mélancolique. Donc Monsieur s’arrête auprès…Alors il se met à danser et gambiller, dit de grands mots, veut vous embrasser, fait un tas de simagrées…à bouche que veux-tu. Parce qu’il est fou, sans rémission. Autant de danger. Et, en ces jours-là, j’étais aussi bien embrouillé », p.172

« A ce propos je me suis rappelé un conseil que Zé Bebelo m’avait un jour donné à Nhanva. Il faut parfois feindre d’être en colère, mais il faut jamais se permettre de l’être, car si on met sa colère contre quelqu’un, c’est tout comme si à ce moment on lui permettait de diriger votre pensée et vos sens, ce qui est réellement un manque d’autorité et pure bêtise. », p.173

« J’étais l’avoir et lui le doit. », p.174 (je n’ai pas compris : Riobaldo l’avoir et Diadorim le devoir).
« Et soudain je l’ai aimé, aimé d’une façon extraordinaire, aimé encore plus qu’auparavant, mon cœur à ses pieds pour qu’il le foule, et je l’avais tout le temps aimé. Je l’ai aimé d’un tel amour…alors je l’ai cru. Et puis, c’est pas toujours ainsi ? », p.174

« Dès cette époque je trouvais que, par manque de bon sens et de gaîté votre vie erre à l’aventure, comme une histoire sans queue ni tête. La vie, ça devrait être comme au théâtre, chacun jouant tout son rôle avec ardeur. C’est mon avis de toujours. », p.179.

« C’est seulement pour le nom de sa mère, ou si on est traité de voleur, qu’y a pas de pardon, c’est des injures graves. », p.193
Toujours ces histoires d’insultes de la mère…

« Moi José, Zé Bebelo, et mon nom : José Rebêlo Adro Antunes ! », p.202 (on sait le nom entier de Zé Bebelo).

« En fait il avait rejeté Zé Bebelo. J’avais pas oublié ses mots qu’aujourd’hui c’était le monde à l’envers. Je l’ai dit à Diadorim, mais il m’a pas répondu. Voilà ce qu’il m’a dit : « Riobaldo, t’aimerais aller vivre à Os Porcos, où il fait toujours beau, où les étoiles luisent tant ?... », p.206
è Réflexion sur la poésie, le monde à l’envers, Diadorim répond sans répondre.

« D’abord j’ai su que j’aimais Diadorim, d’un amour mal déguisé en amitié. Ça m’est apparu d’un coup. Je m’en suis parlé. J’ai pas eu peur, j’ai pas eu peur, j’ai pas trouvé ça mal, je suis rien reproché…sur le moment. », p.210

« Le nom de Diadorim que j’avais prononcé restait en moi. J’ai étreint ce nom.

« Diadorim, mon amour… » Comment pouvais-je dire ça ? Je l’explique à Monsieur : c’était comme si d’un coup j’avais perdu toute honte. Dans ma pensée Diadorim avait pris une bien autre figure, un peu étranger, une sorte d’apparition hors de la vie commune, à part de tous, de toutes les autres personnes, comme quand la pluie ondoie les champs. Un Diadorim pour moi seul. Tout a ses mystères. Je savais pas. Mais en pensée, j’étreignais avec mon corps ce Diadorim…qu’était pas réel. L’était-il pas ? Y a des choses qu’on peut pas expliquer. Je devais avoir commencé de penser à lui, tout comme pense sûrement le serpent quand il fixe l’oiseau qu’il veut prendre. Mais y avait en moi un serpent. Ça me transformait, ça me faisait grandir avec une intensité douloureuse et agréable. A cette heure, j’aurais pu mourir. Je m’en foutais. », p.211

è Diadorim sublimé, mythifié. Le Camilla Lopez d’Arturo Bandini. La Dulcinée de Don Quichotte. La quête de l’impossible, de l’amour impossible.
« Puis je me suis rendu compte que je regardais Diadorim, que je le dévisageais fixement, sans parler, mais en me répétant : « Je nie t’aimer d’un amour malsain. Je t’aime seulement en ami. » Je l’ai ressassé. Et depuis, chaque fois que j’étais auprès de Diadorim, j’ai continué de me le dire. J’avais même fini par y croire. Ah, Monsieur, comme si obéir à l’amour c’était pas toujours le contraire… », p.212

« Moi, je voyais qu’à travers lui. Il était pour moi tout ce qu’y a de bon dans la vie. », p.220

« T’as pas peur, Riobaldo ? » a demandé Diadorim. Moi ? Avec lui je me serais embarqué pour n’importe où, même sur une planche ! », « Le dué du monde, c’est le courage », ai-je dit. » p.221

« Mais la liberté, c’est seulement un pauvre petit sentier entre les grilles d’une grande prison. Y a une vérité secrète qu’on devrait apprendre et que personne enseigne jamais : la façon de se libérer. Je suis un ignorant, mais que Monsieur me dise si la vie c’est pas une chose terrible ? Rabâchage. », p.222

« Diadorim seul avait un sentiment qui durait toujours. Un mystère que la vie m’a révélé, j’en ai eu le vertige. Avant, j’ai perçu la beauté de ces oiseaux du Rio das-Velhas, je l’ai perçue pour toujours. Le chevalier-des-sables. », p.225.

« On peut vivre auprès de quelqu’un et connaître une autre personne sans risquer de haine, seulement si on a de l’amour. Tout amour est déjà un peu de santé, une pause dans la folie. Dieu sait », p.226

« Ah, ce que je comprends pas, ça peut me tuer… » Je me suis souvenu de ces paroles. Mais ces paroles, c’était lui, Zé Bebelo, qui les avait prononcées dans une autre occasion.», p.237-238

« Il m’est venu une pensée : la haine, c’est se souvenir de ce qu’on devrait pas, l’amour c’est vouloir ce qu’on est. », p.261

« Mais penser à la personne qu’on aime, c’est comme rester au bord de l’eau pour attendre qu’à un moment le ruisseau s’arrête et cesse de courir. », p.261

« Je dis aussi : faut jamais se mêler à des gens très différents de soi. Même s’ils ont pas de malice personnelle, ils ont une vie renfermée dans leurs coutumes à eux, et Monsieur est d’ailleurs, Monsieur court des dangers qu’il peut pas sentir. Je l’ai appris des anciens. Le bon, c’est que chacun fuie ce qui lui correspond pas. Le bon loin du mauvais, le sain loin du malade, le vivant loin du mort, le froid loin du chaud, le riche loin du pauvre. Que Monsieur ne néglige pas cette règle, qu’il tire sur ses rênes des deux mains. », p.281

« Et soudain a circulé l’avis que Jõe le Drôle et Pacama-les-Crocs savaient une prière à saint-Sébastien et à saint-Camille de Lélis protégeant de tout mal errant. », p.283

« C’était rien que par leurs yeux que j’explorais ce que les gens avaient dans le ventre, rien que par les yeux », p.307

« L’amour, c’est comme ça : un rat sort de son trou, et c’est un rat géant, un tigre-lion », p.308

« Calmement, c’est très calmement qu’on attire l’amour, comme les choses vous attirent par leur calme. », p.334

« Passopreto », p.353, oiseau noir

« La vie, c’est incertain et variable », p.360

« Parce que vivre, c’est bien dangereux », p.362 (leitmotiv du roman)

« Tandis que je méditais sur mon destin, Diadorim m’a demandé ça, avec une mélancolie affectueuse :
« Riobaldo, tu crois qu’une chose mal débutée peut un jour bien finir ? »
Agacé, j’ai répliqué :
« Dis donc frère, je te reconnais pas ! Suis-je pas Crotale-Blanc ? Faut que je fasse ça. Avant tout ! »
Diadorim est resté silencieux, il a gardé le secret de sa personne. Il s’était caché, et je ne le savais pas. Je savais pas qu’on ne comprenait pas tous deux, pour mon malheur. Aujourd’hui, je sais, et j’ai vraiment souffert. J’avais cru que c’était une récrimination stupide, peut-être de la peur. Il venait pour tout me dire et moi, dans mon emportement, j’ai pas compris. Voyez-vous ? La vie, c’est rien que contradiction. Y a des rôles. Y a des ruses. Y a de l’ombre de Siruiz. Y a toutes les formes du Renégat et les penchants de la vie. », p.363-364

(Siruiz, c’est son cheval).

« Quand il y a des araignées, des fourmis et des abeilles, ça indique qu’il y a des fleurs. », p. 366

« Surtout que Monsieur me juge pas mal pour ce que je dis : je suis marié, légitimement, ma grande affection pour ma bonne femme est chez moi de l’or pur. Mais si j’étais resté à São Josézinho, si j’avais par bonheur renoncé à ce commandement où j’étais Crotale-Blanc, que de choses terribles le vent aurait emportées et seraient pas arrivées ? Ce qui est possible…ce qu’a été est possible. (…) Mais ce que j’en dis, c’était en pensant à Nhorinha, à cause de ça. Ça vous fait toujours mal quand on pense à tout l’amour qu’on a eu à portée et qu’on a repoussé un jour. Mais, comme les jagunços qu’on était, on est parti de l’avant, avec de bons chevaux pour la remonte. Sur les plateaux sableux des gerais, pleins de vide. Sur les sables gris et morts, sans montagne pour couper le vent. », p.376


« Si j’y vais aussi, c’est pas tant pour venger mon père Joca Ramiro comme c’est mon devoir, que pour te servir Riobaldo, par ma volonté et mes actes… »
J’y ai même pas fait attention. « C’est Hermogenes qu’il faut liquider » que j’ai dit. Diadorim avait presque les larmes aux yeux, frustré de ses espoirs. Il me regardait, et j’ai pas compris. Je trouvais normal qu’il me soit dévoué ? Pour sûr. J’ai pas discerné les subtilités. Mais je pense aussi que j’ai pas pu répondre parce que mon attention était détournée. On s’est trouvé à ce moment dans un essaim de fourmis volantes. J’en avais jamais vu tant, par bandes, emplissant l’air de leur bourdonnement, puis tombant, vu que normalement leur corps est si pansu, si oeuvé, une grosse bête bien mûre, qu’elles peuvent plus se maintenir en vol et couvrent des empans de terre d’une couche noire et cuivrée. Leur odeur flottait partout, une odeur de citron roux qu’on grille sur une plaque. (long passage sur les fourmis volantes). Heureusement pour elle que chaque fourmi savait qu’à peine au sol elle devait bien vite creuser son trou pour disparaître, sans le temps de choisir, dépouillée de ses ailes qu’elle arrache comme des petits bouts de papier. Dans le monde, chaque bête a ses usages. Mais quand j’ai regardé de nouveau, Diadorim avait disparu, fondu dans la masse des autres. Malheur ! Et j’avais mal compris. », p.385

« Alors, l’amour c’est ça, aimer bien et mal faire ? », p.396

« Je le sais : celui qui aime est toujours très soumis mais il obéit jamais vraiment », p.398 (il parle de Diadorim).

« Comment puis-je savoir si c’est pour la joie ou pour les larmes que je demeure captif de l’avenir ? L’homme est comme le tapir, il vit sa vie. Le tapir est l’animal le plus stupide… », p.403

« (…) j’ai vu mon sourire sur ses lèvres », p.406

« C’était pas ça : je voulais savoir ce qu’il pensait, au fond, de cette vie, à errer sans but ? » « Ben ça…On sait-y seulement ? J’ai déjà tant vécu et si rudement que j’ai perdu le goût de chercher à rien comprendre… » Il a dit ça, une bonne réponse. Mais j’ai discuté : « Alors, pour être vraiment un bon jagunço, faut d’abord et surtout pas connaître la raison de la vie… », p.412
è Jonathan Livingstone le Goéland de Richard Bach (œuvre postérieure).

« J’avais de la haine pour lui ? Une haine énorme. Seulement que je savais pas pourquoi. Je crois que j’éprouvais cette haine à cause d’une autre, cousue à elle, ainsi de suite, de l’avant à l’arrière, revenant toutes. En sorte que mon but dans la vie, depuis mon enfance, était de tuer Hermogenes. », p. 414

«  J’ai permis à mon corps de désirer Diadorim. Et mon âme ? Je me souvenais de son odeur. Même dans ces ténèbres je tenais la finesse de ses traits que je pouvais pas voir, mais que je me rappelais, gravée dans mon imagination. Diadorim, même vaillant guerrier, était fait pour les plus grandes tendresses, j’éprouvais un soudain désir de baiser ce parfum sur son cou, là où s’adoucissait la dureté de la mâchoire, du visage…La beauté…qu’est-ce que c’est ? (…) La beauté, c’est la forme des traits de l’un pour que ça devienne la loi de l’autre et fixe son destin…Et j’étais forcé d’aimer ainsi Diadorim en secret, sans prononcer une parole », p. 416
è Magnifique. Comme je le comprends à propos de la finesse des traits d’un visage que l’on aime, liés indissociablement à l’âme.

« Vivre, n’est-ce pas, c’est très dangereux. Parce qu’on le sait pas encore. Parce qu’au fond apprendre à vivre, c’est ça la vie. Le sertão me produit, puis il m’a avalé, après il m’a recraché hors de sa bouche chaude…Monsieur croit mon récit ? », p.422

« Y a pas de diable ! C’est ce que je dis, à moins qu’il existerait…Ce qu’existe, c’est l’homme, l’être humain. Un passage. », p. 439
è C’est ce que disait Ludo de lui-même et ça m’avait beaucoup peinée. Le fait est que je vais le revoir après six ou sept ans. Je suis contente.