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vendredi 5 novembre 2010

LE BRUIT ET LA FUREUR DE WILLIAM FAULKNER, 1929 (USA).



LE BRUIT ET LA FUREUR DE WILLIAM FAULKNER, 1929.

*****Chef-d’œuvre, sublime, cri au génie poétique.

Enfin un roman digne de ce nom, hélas qui date de 1929. C’est grave. Cela ne m’étonne pas que dans Pulp, roman de gare, Bukowski imagine Céline cherchant comme un fou un exemplaire de Tandis que j’agonise de Faulkner.


L’histoire : l’histoire n’est pas vraiment ce qui compte et si je vous la racontais, cela détruirait tous les effets de narration, qui eux, sont subversifs. Les thèmes : la famille, la malédiction familiale (style les Atride de l’Antiquité) ; le poids familial.
Il s’agit d’un roman révolutionnaire dans sa narration, donc. Une chose est sûre : je n'y aurais jamais rien compris en anglais !

1)    Le passé et le présent se mêlent dès le premier chapitre sans moyen de les différencier hormis des incohérences temporelles.
Ensuite il faut bien faire attention aux titres de chapitres : Sept avril 1928 ; Deux juin 1910 ; Six Avril 1928 ; Huit avril 1928.
Mais le premier chapitre comportant déjà les deux périodes, c’est déjà très difficile…

2)    Mais le pire, ce sont les noms et le SEXE des personnages qui embrouillent définitivement le lecteur qui se dit, que non, ce n’est pas possible que Gallimard ait autant laissé de fautes d’accords masculin/féminin.
[Je m’étais accrochée à ce roman sans Sira, mais en me disant que la suite en valait vraiment la peine, elle m’a donné deux fois plus de courage, GRACIAS Sira !]

Exemples : Le père s’appelle Jason. La mère Caroline. Les enfants s’appellent Maury, Candace dite Caddy, Quentin et Jason. Mais Maury a un nouveau nom : Benjamin, dit Benjy. Or un drame ayant eu lieu, un enfant de sexe féminin est baptisée…Quentin.  Et l’oncle, le frère de Caroline, s’appelle l’Oncle Maury.
Imaginez le bordel dans les pronoms : « Il » « elle » pour Quentin. Un coup, c’est un homme ; un coup, c’est une fille. Imaginez le bordel aussi pour « Jason » : un coup, c’est le père ; un coup, c’est le fils ; un coup c’est un oncle, lui aussi.
Le but de tout ça ? Nous faire comprendre le poids de l’hérédité, de la transmission de la malédiction, par le sang, mais aussi par le nom.

3)    Tandis que je cherche à écrire des vers poétiques en suant comme une malade pour ne parvenir qu’à des mièvreries incroyables, Faulkner déverse des fragments poétiques comme des coups de poignard ici et là dans les deux premiers chapitres. Je le hais. Je l’admire profondément.

4)    Chaque chapitre correspond à un point de vue différent à la première personne (appelé "stream of consciousness" in english) : le premier à Benjy qui mélange le passé et le présent donc (parce qu’il est « fou ») ; le deuxième à Quentin ; le troisième à Jason fils et le quatrième au narrateur omniscient qui utilise le style indirect libre pour Disley, la gouvernante noire, donc la troisième personne.

Bien sûr, ils sont tous différents : Benjy est le plus poétique (il est fou) ; Quentin lui aussi (la passion, l’intelligence) ; Jason donne beaucoup de repos au lecteur car pour la première fois on peut tout comprendre clairement, abruptement, vulgairement : aucune poésie, ce qui correspond à l’absence de richesse émotionnelle du personnage, à son prosaïsme, à la vulgarité de ses pensées, à sa laideur d’âme ; enfin Disley a droit elle aussi à une narration facile, mais cela correspond à sa noblesse d’âme, sa gentillesse, sa tendresse, sa simplicité et encore, c’est au style indirect libre, donc une narration complexe.

5)    Enfin, cela se passe au Sud des États-Unis à une époque où le rapport entre Blancs et Noirs est ce que l'on sait et un thème omniprésent du roman où points de vue racistes se mêlent à des points de vue humanistes forts.

CITATIONS :
« C’était la montre de grand-père et, en me la donnant, mon père m’avait dit : Quentin, je te donne le mausolée de tout espoir et de tout désir. Il est plus que douloureusement probable que tu l’emploieras pour obtenir le reducto absurdum de toute expérience humaine, et tes besoins ne s’en trouveront pas plus satisfaits que ne le furent les siens ou ceux de son père. Je te le donne, non pour que tu te rappelles le temps, mais pour que tu puisses l’oublier parfois pour un instant, pour éviter que tu ne t’essouffles en essayant de le conquérir. Parce que, dit-il, les batailles ne se gagnent jamais. On ne les livre même pas. Le champ de bataille ne fait que révéler à l’homme sa folie et son désespoir, et la victoire n’est jamais que l’illusion des philosophes et des sots. », p. 99 (Quentin)

« Papa m’a dit qu’autrefois on reconnaissait un gentleman à ses livres mais qu’aujourd’hui on le reconnaît aux livres qu’il n’a pas rendus », p.105 (Quentin)

« Père et moi nous protégeons les femmes contre leurs semblables contre elles-mêmes nos femmes c’est ainsi que sont les femmes elles n’apprennent pas à nous connaître pour la simple raison qu’elles sont nées avec un pouvoir pratique de soupçonner si fertile qu’à tout instant il en croît une véritable récolte de soupçons fondés du reste pour la plupart elles ont l’instinct du mal le talent de suppléer au mal ce qui lui manque de s’en enrouler instinctivement comme on s’enroule la nuit dans ses couvertures fertilisant leur esprit à cet effet jusqu’à ce que le mal ait atteint son but qu’il existe ou non », p.123 (Quentin)

« Mon père dit qu’un homme est la somme de ses propres malheurs. On pourrait penser que le malheur finirait un jour par se lasser, mais alors, c’est le temps qui devient votre malheur, dit papa. (…) On emporte le symbole de sa frustration dans l’éternité. Alors les ailes sont plus grandes, dit papa, mais qui sait jouer de la harpe ? », p.132 (Quentin)
Allusion au mythe d’Orphée, dieu de la poésie, qui n’a pas pu s’empêcher de regarder sa belle ce qui l’a condamnée à mourir aux Enfers.

« Et elle est assise là à nous raconter devant tout le monde combien il était dommage que Gerald eût pris toute la beauté de la famille parce qu’un homme n’en a pas besoin est même plus heureux sans ça tandis qu’une femme qui en est dépourvue est perdue tout simplement. », p.133 (Quentin)

« Et mon père m’a dit c’est parce que tu es vierge tu comprends. Les femmes ne sont jamais vierges. La pureté est un état négatif et par suite contre nature. C’est la nature qui te fait souffrir et non pas Caddy et j’ai dit Ce ne sont que des mots et il m’a dit la virginité aussi et j’ai dit vous ne savez pas. Vous ne pouvez pas savoir et il a dit Si. Une fois que nous sommes arrivés à nous rendre compte de cela la tragédie perd bien de sa valeur », p.145 (Quentin)
Quand on comprend que c’est le désir sexuel de posséder l’Autre qui nous anime, la tragédie perd en effet toute sa valeur mais ne nous empêche pas de souffrir tout autant…

« Quand on laisse une feuille longtemps dans l’eau le tissu disparaît et les fibres délicates ondulent lentement comme le mouvement du sommeil. Elles ne se touchent pas, peu importe à quel point elles étaient emmêlées autrefois, combien près elles se trouvaient du squelette. », p.145 (Quentin)
La première phrase ressemble à un poème japonais.

« Jamais pensé à autre chose je ne peux même pas pleurer je suis morte l’an dernier je te l’ai dit mais je ne savais pas alors ce que je voulais dire je ne savais pas ce que je disais », p.153 (Caddy)

« L’homme, somme de ses expériences climatériques, disait papa. Homme somme de tout ce que vous voudrez. Problème sur les propriétés impures qui se déroule fastidieusement jusqu’en un néant invariable. Désir et poussière : situation du joueur pat. », p.153 (Quentin)
Pas étonnant que Sartre ait commenté Faulkner.
Climatérique : née de la vie humaine multiple de 7 ou de 9, en partic. la 49e, la 81e et la 63e] Critique. Année climatérique.
Quatre-vingt-un, ou neuf multiplié par lui-même, est le nombre de la grande climatérique; tout homme qui aime l'ordre doit mourir à cet âge, et Denis d'Héraclée donna en cela un grand exemple au monde.
SENANCOUR, Obermann, t. 2, 1840, p. 14.
Constituant un moment important, où il survient de grands changements. Époque, heure, tempête climatérique. (source : TLF)


« Elle avait l’air d’une bibliothécaire. De quelque chose qui vit parmi des rayons poussiéreux de certitudes ordonnées, divorcées depuis longtemps avec la réalité, se desséchant paisiblement comme si un souffle de cet air qui voit l’injustice accomplie », p.155 (Quentin parlant de la boulangère)

« Parce que les femmes si délicates, si mystérieuses, disait papa. Délicat équilibre d’ordure périodique entre deux lunes en suspens. Lunes disait-il pleines et jaunes comme des lunes de poissons ses hanches ses cuisses. Hors d’elles toujours mais. Jaunes. Comme des plantes de pieds jaunies par la marche. Puis savoir qu’un homme que toutes ces mystérieuses et impérieuses cachaient. Que toutes ces choses internes modèlent une suavité externe qui n’attend qu’un contact pour. Putréfaction liquide comme un flottement de choses noyées, comme du caoutchouc pâle empli et flasque avec l’odeur du chèvrefeuille, le tout mêlé », p.158-159 (Quentin)
Façon poétique de dire que les femmes, derrière leurs airs, ne sont que le mal incarné, la tentation du désir sexuel qui conduit à la mort. Il est pasteur, le père.

« est-ce que tu l’aimes
Sa main avança je ne bougeais pas elle descendait le long de mon bras et elle posa ma main à plat sur sa poitrine là où le cœur battait
non non »
p.182-183 (Quentin)
« tu n’as jamais fait cela n’est-ce pas
fait quoi
ce que j’ai fait
si si bien des fois avec bien des femmes
Puis je me suis mis à pleurer sa main me toucha de nouveau et je pleurais contre sa blouse humide… », 183 (Quentin)
Ce que j’aime dans ces passage c’est de voir l’universalité éclatante dans l’amour, la jalousie, la passion, j’adore.

« dans les bois les petites grenouilles chantaient sentant la pluie dans l’air on eût dit des petites boîtes à musique dures à tourner et le chèvrefeuille », p.187

« l’aimes-tu maintenant
respiration lente comme une respiration lointaine
Caddy l’aimes-tu maintenant
je ne sais pas
hors de la lumière grise les ombres des choses comme des choses mortes dans de l’eau stagnante
je voudrais que tu sois morte
vraiment alors tu rentres
penses-tu à lui en ce moment
je ne sais pas
dis-moi à quoi penses-tu dis-moi
assez assez Quentin
(…)
je te tuerai tu m’entends
(…)
je ne pleure pas est-ce que tu prétends que je pleure
non chut maintenant nous réveillerons Benjy
rentre maintenant rentre
je suis ne pleure pas je suis une fille perdue de toute façon tu n’y peux rien », p.189-190 (Quentin)

« C’est ainsi qu’ils pénètrent dans la vie des Blancs, en infiltrations noires, soudaines et aiguës qui isolent un instant, comme sous un microscope, les faits des existences blanches et en dégagent les vérités indiscutables ; le reste du temps, des voix seulement, qui rient là où nous ne voyons rien de risible, des larmes sans raison de pleurer. », p.204 (Quentin à partir de Disley, sur les Noirs en général).

« (…) la montre sur la table noire disait son mensonge furieux », p.208 (Quentin)

« Vendons le pré de Benjy afin que Quentin puisse aller à Harvard que je puisse éternellement entrechoquer mes os. Je serai mort dans. (…) j’ai vendu le pré de Benjy et je puis être mort à Harvard (…) parce que Harvard sonne si joliment à l’oreille quarante hectares ça n’est pas trop cher pour un si joli son. Un joli son mort. », p.208 (Quentin)

« (…) lui qui entretenait si chaudement la croyance de son père en l’origine céleste de sa race alors maman pleurait et disait que papa se considérait comme d’une essence supérieure à la sienne et qu’il tournait l’oncle Maury en ridicule pour nous faire partager ses vues elle ne pouvait pas comprendre que papa nous enseignait que les hommes ne sont que des poupées bourrées de son puisé au tas de détritus où ont été jetées toutes les poupées du passé le son s’écoulant de blessures dans des flancs qui n’avaient pas souffert la mort pour moi. », p.210 (Quentin)

« (…) si les gens pouvaient toujours s’interchanger comme ça émerger quelques secondes comme une flamme tourbillonnante puis proprement s’éteindre dans la fraîcheur de la nuit éternelle (…) », p.210  (Quentin)

« Rien qu’en imaginant le bouquet d’arbres il me semblait entendre des murmures des désirs secrets sentir le battement du sang chaud sous des chairs sauvages et offertes regarder contre des paupières rougies les porcs lâchés par couples se précipiter accouplés dans la mer (…) », p.210 (Quentin)
(Légendes grecques Eubée le porchée/ Pluton séduit Perséphone et les couples de porcs les suivent dans la mer)

« L’homme est l’arbitre de ses propres vertus le fait qu’on estime un acte courageux ou non est plus important que l’acte lui-même qu’aucun acte sans quoi on ne pourrait jamais être sincère (…) tu désirais sublimer une chose horrible un peu de la folie naturelle aux humains et puis l’exorciser au moyen de la vérité (…) tu ne peux pas supporter la pensée qu’un jour tu ne souffriras plus comme ça maintenant  nous arrivons au point tu sembles ne voir en tout cela qu’une aventure qui te fera blanchir les cheveux en une nuit si j’ose dire sans modifier en rien ton apparence tu ne le feras pas dans ces conditions-là ce sera une chance à courir et ce qu’il y a d’étrange c’est que l’homme conçu accidentellement et dont chaque respiration n’est qu’un nouveau coup de dés truqués à son désavantage ne veut pas affronter cette étape finale qu’il sait d’avance avoir à affronter sans essayer d’abord des expédients qui vont de la violence aux chicaneries mesquines expédients qui ne tromperaient pas un enfant et un beau jour poussé à bout par le dégoût il risque tout sur une carte retournée à l’aveuglette un homme ne fait jamais cela sous la première impulsion du désespoir du remords ou du deuil il ne fait qu’après avoir compris que même le désespoir le remords et le deuil n’ont pas grande importance pour le sombre jeteur de dés et moi temporaire et lui on croit difficilement qu’un amour un chagrin ne sont que des obligations achetées sans motif ultérieur et qui viennent à terme qu’on le désire ou non et sont remboursées sans avis préalable pour être remplacées par l’emprunt quel qu’il soit que les dieux se trouvent lancer à ce moment-là non tu ne feras pas cela avant d’avoir compris que même elle ne valait peut-être pas un si grand désespoir (…) »,p. 211-212 (Quentin avec son père).

« (…) il faudra te rappeler que t’envoyer à harvard a été le rêve de ta mère depuis le jour de ta naissance et un compson n’a jamais désappointé une dame », p. 212-213 (Quentin : son père)

« temporaire (…) le plus triste de tous les mots il n’y a rien d’autre en ce monde ce n’est pas le désespoir jusqu’à ce que le temps ce n’est même pas le temps jusqu’à ce qu’on puisse dire était », p.213
Voilà le drame de ma vie : le temporaire. La mortalité des émotions. La mort des Amitiés et des Amours les plus profonds et les plus sincères.

« Tu es le seul qui ne me sois pas un reproche », p.218 (Jason : sa mère à lui)

« Le coton est une culture de spéculation. On bourre le crâne des fermiers pour les pousser à faire une grosse récolte uniquement afin de la jouer sur le marché et empiler les gogos. Vous figurez-vous que les fermiers en retirent autre chose que des coups de soleil sur la nuque et une bosse dans le dos ? Vous croyez que l’homme qui sue pour le mettre en terre en retire plus que le minimum dont il a besoin pour vivre ? Qu’il fasse une grosse récolte, elle ne vaudra pas la peine d’être cueillie ; qu’il en fasse une petite, il n’aura pas de quoi égrener. Et pourquoi ? pour qu’un tas de sales Juifs de l’Est. Je ne parle pas des hommes de religion juive, dis-je. J’ai connu des Juifs qui étaient de très bons citoyens. (…)
Ceux dont je parle, c’est les types qui sont là-bas, à New-York, à tâcher d’empiler les pauvres bougres qui sont assez poires pour spéculer.
- C’est vrai, le jeu, ça ne rapporte jamais rien au pauvre monde. Ça devrait être interdit par la loi.
- Vous ne trouvez pas que j’ai raison ? dis-je.
- Si, dit-il. Il me semble bien que vous avez raison. C’est toujours le fermier qui trinque. », p.229-230 (Jason)

« Je ne promets jamais rien à une femme, pas plus que je ne lui dis ce que je compte lui donner. C’est la seule façon de s’en aider. Toujours les maintenir dans l’incertitude ? Et si on n’a pas d’autre surprise à leur offrir, on leur fout son poing sur la gueule. », p.232 (Jason)

« (…) à Harvard on vous enseigne comment aller nager la nuit sans savoir nager, et à Sewanee on ne vous enseigne même pas ce que c’est que l’eau. », p.234 (Jason)

« Vous êtes un homme dur, Jason, si même vous êtes un homme, dit-elle. Je remercie le Seigneur de m’avoir donné plus de cœur qu’à vous, quand même c’est un cœur noir. », p.248 (Disley à Jason)

« (…) Et puis, tu peux leur dire qu’au Bon Dieu ça lui est bien égal qu’il soit intelligent ou non. Faut être de la racaille de Blancs pour se préoccuper de ça. », p.340 (Disley en parlant de Benjy qu’elle a emmené à l’Eglise des Noirs qui n’en veulent pas).