Un blog pour se remuer les neurones et se secouer les fesses !
Un blog pour encourager tous ceux qui n'ont pas envie de se laisser aller avec non-garantie de succès, ni pour eux, ni pour moi-même. ;-)

samedi 27 novembre 2010

Les Armes secrètes, Julio CORTAZAR, 1959 (ARG)


Les Armes secrètes de Julio Cortazar, 1959 (ARG).
(Recueil de nouvelles) Lecture achevée le samedi 27 novembre 2010.
**Bien.

Critique globale : de très beaux passages mais je ne me souviendrai personnellement d’aucune nouvelle marquante. Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être à cause de la traduction, je ne sais pas. Je sens que je suis injuste. Mais ce n'est pas "l'Autouroute du Sud", nouvelle simple, sobre et magnifique.
Avec du recul : "L'homme à l'affût" est une nouvelle qui m'a vraiment touchée au plus profond.
Je ne comprends pas trop pourquoi "les Armes secrètes" donne le titre du recueil...

"Lettres de Maman" : C’est l’histoire d’un frère qui vit très mal le fait d’avoir pris la fiancée de son frère, malade, puis décédé. Luis et Laura, argentins, suite à ce décès se sont exilés à Paris. Il reçoit régulièrement des lettres de sa mère d’Argentine jusqu’au jour, où elle écrit « Nico » comme s’il était encore vivant. Cela met Luis dans tous ses états, parce que jusqu’à présent, tout le monde faisait attention de ne jamais l’évoquer. Ce qui est décevant, sauf si la traduction est mauvaise ou tout simplement que je n’ai pas su la comprendre, c’est la chute. Je ne comprends pas la chute : si quelqu’un l’a comprise, qu’il me l’explique en commentaire. Je suppose que les dernières paroles font référence à Boby le chien, mais je n’en suis même pas sûre.

Citations :
« Un jour, il s’était enhardi à dire à Laura : « Si l’on pouvait déchirer et jeter le passé comme le brouillon d’une lettre ou les épreuves d’un livre. Mais il demeure obstinément et entache le texte définitif et je crois que c’est cela le futur véritable », p. 10-11.
« Les lettres restaient deux ou trois jours sur la table à dessin, Luis aurait voulu les jeter dès qu’il y avait répondu mais Laura les relisait, les femmes aiment relire les lettres, les regarder en tous sens, elles semblent en extraire une signification nouvelle chaque fois qu’elles les relisent », p.13-14.
« Un soir, après avoir parlé à Nico, déjà malade, Luis s’était juré de s’échapper d’Argentine, de la villa de Flores, de Maman, des chiens et de son frère (déjà malade). », p.15

"Bons et loyaux services" : L’histoire d’une femme honnête et simplette, Madame Francinet, qui se fait avoir par une bande de cons superficiels et cupides : Monsieur et Madame, ainsi que ceux leurs amis. Ils lui demandent de garder leurs chiens ainsi que de leurs amis durant une soirée en se souciant davantage pour leur chien respectif que d’elle. Pendant qu’ils s’amusent follement, mangent, boivent et dansent comme des fous, elle est seule assise sur une chaise dans une pièce mal éclairée obligée de subir des chiens mal éduqués et tombant de sommeil. Mais personne ne lui propose rien, tout le monde s’en fout. Jusqu’à la toute fin de la soirée, où une seule personne lui propose une coupe de champagne : Monsieur Bébé. La seule personne qui aura eu un geste d’humanité envers elle. Elle sera finalement payée 1400 francs pour ce service, rentrant à pied chez elle sous la neige avec une heure de marche sans que personne ne lui ait proposé de la ramener en voiture…
Suite à cette histoire, on la sollicite de nouveau pour un nouveau service, rémunéré plus avantageusement cette fois-ci (20.000 francs) : Monsieur Bébé (enfin son vrai nom est M. Linard), qui était en fait un grand couturier vient de mourir, on lui demande de jouer la mère éplorée afin de lui rendre un hommage décent devant la presse. Elle croit à la noblesse de son service alors qu’en fait, cela n’a rien à voir : les personnes qui lui demandent cela s’apprêtent à reprendre la succession de la maison de couture de Monsieur Bébé et à s’enrichir. Ils avaient besoin d’elle pour ne pas paraître suspects de son meurtre (c’est ce qu’on devine). Mais elle, bonne poire, continue de croire à la noblesse de son geste.
La scène la plus pathétique est à la fin, lorsque Mme Francinet pleure toutes les larmes de son corps sans aucune comédie. Une vraie chute de nouvelle, quoi.

"Les fils de la vierge" : Un écrivain, Roberto Michel, doit traduire un livre du français en espagnol et il s’ennuie durant ce travail laborieux d’autant plus qu’il se dédouble en Roberto (lui)/Michel (son double photographe). Alors comme il est photographe à ses heures perdues à travers Michel, il s’amuse à prendre des gens et à interpréter leur histoire style Michel Butor dans La Modification, quand le narrateur est dans le train. C’est vrai que les plus belles photos sont narratives, mystérieuses : ça donne envie de s’y mettre sérieusement. Le problème, c’est de ne pas se faire attraper et d’avoir un très bon appareil, or le narrateur lui-même se fait surprendre en train de prendre des photos d’inconnus mécontents. Bref, du coup Roberto Michel se met à broder toute une histoire entre un jeune homme et une femme plus mûre à qui il attribue les pires intentions. Il la voit comme une dépuceleuse méchante et le jeune homme comme une pauvre victime en plein apprentissage.

Citations :
« Toujours raconter, toujours se délivrer de ce chatouillement désagréable au creux de l’estomac », p.85
« Je sais que le plus difficile va être de trouver la bonne manière de raconter tout ça, mais je n’ai pas peur de me répéter. Cela va être difficile parce qu’on ne sait au juste qui raconte, si c’est moi ou bien ce qui est arrivé ou encore ce que je vois (des nuages et de temps en temps un pigeon) ou bien si, tout simplement, je raconte une vérité qui n’est que ma vérité, mais alors ce ne sera la vérité que pour mon estomac, que pour cette envie de m’enfuir et d’en finir au plus vite avec ça, quoi que ce puisse être. », p.85-86.

« Si tant est que je sache faire quelque chose, je crois que je sais regarder et je sais aussi que tout regard est entaché d’erreur, car c’est la démarche qui nous projette le plus hors de nous-mêmes et sans la moindre garantie, tandis que l’odorat…(mais Michel s’éloigne facilement de son sujet, il ne faut pas le laisser déclamer à tort et à travers), p.89-90.

« Elle était mince et svelte, deux mots injustes pour dire ce qu’elle était (…), un visage pâle et sombre –deux mots injustes- (…) », p.90

« Michel est coupable de littérature, d’échafaudages invraisemblables. Rien ne lui plaît tant que d’imaginer des exceptions, des individus hors de l’espèce commune, des monstres qui n’ont pas forcément un aspect répugnant. », p.96 : MA-GNI-FIQUE.

« Je me limitai donc à répondre que non seulement il n’est pas défendu de prendre des photos dans les lieux publics, mais que cet art jouit de la plus grande estime officielle et privée », p.96-97

« Mais les fils de la vierge s’appellent aussi dans mon pays la bave du diable », p.97 (cf. explication de cette expression qui m’était inconnue à la fin de ce message, trouvée sur : http://www.bmlisieux.com/normandie/dubosc48.htm ).

"L’homme à l’affût" : Un critique de jazz raconte l’histoire de son ami Johnny, un musicien génial qui est complètement fou et le perturbe, lui et ses idées raisonnables. C’est la nouvelle sans doute la plus recherchée, parce que la plus complexe. Johnny, complètement drogué, pète souvent un plomb : il a des hallucinations.qui lui font perdre pied hors de la réalité de façon croissante. C’est une réflexion sur la folie, la raison, l’art et la critique de l’art, l’amitié, le sens de la vie. La suite est prévisible.

Citations : « Sur le moment, je sais que ce qu’il me dit n’est pas simplement dû au fait qu’il est à moitié fou, que la réalité lui échappe et lui laisse en échange de parodie qu’il convertit  en espérance. », p.125

« La croûte de l’habitude a éclaté en mille morceaux et ses défenseurs eux-mêmes (dans les orchestres, dans le public) ne l’ont plus soutenue que par amour-propre. Depuis que Johnny est passé par le saxo-alto on ne peut plus considérer les musiciens précédents comme des génies. Il faut bien en venir à cette espèce de résignation déguisée qui s’appelle le sens historique et dire que ces musiciens ont été remarquables en leur temps. Johnny est passé par là comme une main qui tourne une page et on n’y peut rien. », p.131

« J’envie Johnny et en même temps j’enrage qu’il se détruise en employant si mal ses dons, en accumulant stupidement folie sur folie parce que la vie le soumet à des pressions trop fortes. », p.135

« Que la musique sauve au moins la fin de la soirée et accomplisse une de ses plus détestables missions, celle de nous mettre un bon paravent devant le miroir, de nous rayer de la carte pour quelques heures », p.140

« La marquise, par exemple, croit que Johnny a peur de la misère, elle ne comprend pas que la seule chose que puisse redouter Johnny c’est de ne pas trouver une côtelette à portée de son couteau quand il a envie d’en manger une, ou un lit quand il a sommeil, ou cent dollars dans son portefeuille quand il a envie de les dépenser. », p.143

« Tu comprends (…) ce type-là et tous les autres types (…), c’était des convaincus. Convaincus de quoi, tu vas me dire ? Je ne sais pas s’ils étaient convaincus. De qu’ils étaient je suppose, de ce qu’ils valaient, de leurs diplômes. Non, c’est pas ça. Il y en avait de modestes et qui ne se croyaient pas infaillibles. Mais même le plus modeste était sûr de lui. Et c’est ça qui me foutait en boule, Bruno, qu’ils se sentent sûrs d’eux. Sûrs de quoi, dis-moi un peu, alors que moi, un pauvre diable pestiféré, j’avais assez de conscience pour sentir que le monde n’était qu’une gelée, que tout tremblait autour de nous et qu’il suffisait de faire un peu attention, de s’écouter un peu, de se taire un peu pour découvrir les trous. (…) Je ne sais pas si tu as remarqué comme le paysage se casse en mille morceaux quand tu le regardes s’éloigner… », p.150-151

« Tu te rends compte à quel point c’est terrible qu’il ne se passe rien ? Tu coupes le pain, tu lui plantes le couteau dans le cœur et tout continue comme avant. Je ne comprends pas, Bruno », p.154. J'ADORE ! Je comprends tellement ce qu'il veut dire...C'est affreux, c'est le drame de ma vie. ;-)/

« N’importe qui pourrait être Johnny, simplement en acceptant d’être un pauvre diable malade et vicieux, sans volonté, plein de poésie et de talent. Apparemment. Moi qui ai toute ma vie admiré les génies, les Picasso, les Einstein, toute la sainte liste que chacun peut dresser en cinq minutes (et Gandhi et Chaplin et Stravinsky) je suis prêt à admettre que ces phénomènes vivent dans un monde à part et qu’avec eux il ne faut s’étonner de rien. Ils sont « différents », il faut toujours en revenir là. », p.155.

« Mais ça, c’est un autre sujet, ce que je cherchais à comprendre c’est pourquoi ce qui rend Johnny différent de nous est inexplicable, pourquoi cela réside point en des différences visibles. Et il me semble aussi qu’il est le premier à en souffrir et que cela l’affecte autant que nous. On aurait presque envie de dire que Johnny est comme un ange parmi les hommes, mais une élémentaire honnêteté nous oblige à rengainer la phrase, à la retourner comme une crêpe, à reconnaître que Johnny est plutôt un homme parmi les anges, une réalité parmi toutes ces irréalités que nous sommes. C’est pour cela peut-être, que Johnny me touche si souvent le visage de ses mains et que me sens alors si malheureux, si transparent, si peu de chose avec ma bonne santé, ma maison, ma femme, ma réputation. Ma réputation surtout. Surtout ma réputation.
Mais c’est toujours la même chose, à peine ai-je été hors de l’hôpital, à peine ai-je mis le pied dans la rue, dans l’heure, dans tout ce que j’avais à faire, que la crêpe s'est retournée doucement en l'air et est retombée à l'envers. Pauvre Johnny tellement en dehors de la réalité. (C'est ainsi, c'est ainsi. Il m'est plus facile de croire que c'est ainsi, maintenant que je suis dans un café, deux heures après ma visite à l'hôpital, plutôt que de croire tout ce que j'ai écrit plus haut en me forçant comme un damné à être au moins un peu décent envers moi-même », p.156

« - Bon, eh bien, je jouerai aussi un peu de Bach et un peu de Charles Ives, a dit Johnny condescendant. Je ne sais pas pourquoi les Français n’aiment pas Charles Ives. Tu connais ses chansons ? Celle du léopard surtout, il faut que tu apprennes celle du léopard : A leopard… », p.173

« (…) Les créateurs, eux, depuis l’inventeur de la musique jusqu’à Johnny en passant par toute leur fichue kyrielle, sont bien incapables de tirer les conséquences dialectiques de leur œuvre, de postuler les raisons et la transcendance de ce qu’ils écrivent ou improvisent. Il faudrait que je m’en souvienne dans les moments de dépression, quand je trouve pitoyable de n’être qu’un critique. », p.176

« Mais ce n’est pas de ta faute si tu n’as pas su écrire ce que, moi non plus, je ne suis pas capable de jouer. Quand tu dis, par exemple, que ma véritable biographie est dans mes disques, je sais que tu es en persuadé, et puis ça sonne bien, mais ce n’est pas vrai. Seulement, comme je ne suis pas arrivé moi-même à jouer comme j’aurais dû, à jouer ce que je suis vraiment… (… ) », p.181.

« Au fond la seule chose qu’il ait dite, c’est que personne ne sait rien de personne, ce qui n’est pas une nouveauté », p.181.

« - Je suis aussi seul que ce chat, et beaucoup plus seul parce que je le sais et lui pas. », p.183

« (…) il n’y avait pas d’après…Pendant un moment il n’y a eu que toujours. Et je ne savais pas, moi, que c’était un mensonge, que ça arrivait parce que j’étais perdu dans la musique et qu’à peine je m’arrêterais (… ) je tomberais la tête la première au fond de moi… », p.186

« - J’ai l’impression d’avoir voulu nager dans un bassin vide, murmure Johnny. », p.186

« Il est comme ce que joue Satchmo, si pur, si propre. Tu ne trouves pas que ce joue Satchmo c’est comme un anniversaire ou une bonne action ? Et nous…Je te dis que j’ai voulu nager dans un bassin vide. J’ai cru, faut être idiot, j’te jure, j’ai cru qu’un jour je trouverais autre chose. (…) Moi j’avais mon saxo…et mon sexe comme dit ton livre. Tout pour être heureux, quoi. Des pièges, mon vieux…parce que c’est pas possible qu’il n’y ait pas autre chose, c’est pas possible qu’on soit à la fois si près de la porte et si complètement de l’autre côté… », p.186

"Les armes secrètes" : Nouvelle très psychanalytique étrange et fantastique car ne s’explique pas de façon clairement rationnelle. Un jeune homme, le narrateur est amoureux sans vraiment l’être d’une fille qui est amoureuse sans vraiment l’être : ils ne se connaissent pas bien. Il se sent mal. Elle aussi. La fin « expliquera » les raisons de ce malaise mutuel, ça et le titre : la seule explication possible, c’est le lien entre le titre et les…feuilles mortes.

Citations :

« Il n’y a rien de tel que de partager un oreiller. Ça vous éclaircit les idées. Parfois même ça les supprime carrément, comme ça on est tranquille. », p.210

« (…) et c’est soudain comme si une volée de feuilles mortes lui sautait au visage et le dévorait d’une seule morsure horrible et noire. », p.211 (illustration en espagnol possible de mon poème sur les feuilles mortes).


DUBOSC, Georges (1854-1927) :  Les fils de la Vierge (1899).


Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (20.IX.2008)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr
http://www.bmlisieux.com/


Diffusion libre et gratuite (freeware)


Orthographe et graphie conservées.


Première parution dans le Journal de Rouen du 17 septembre 1899. Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : norm 1496) de Par-ci, par-là : études d'histoire et de moeurs normandes, 7ème série, publié à Rouen chez  Defontaine en 1929.



Les fils de la Vierge
par
Georges Dubosc
~*~
C’est toujours un merveilleux spectacle que celui de l’automne en nos campagnes normandes. Tandis qu’à l’horizon, la forêt jaunissante, tachée de pourpre par endroits, forme une toile de fond au décor splendide, en avant les près, au soleil levant, étincellent de mille feux produits par la rosée. Dans les herbes et dans les chaumes brillent d’innombrables filaments, soyeux et légers, sur lesquels les gouttelettes de la rosée miroitent encore plus vivement. De loin, pour le chasseur qui traverse la plaine, ou pour le petit soldat en manoeuvres de septembre, on dirait un immense tapis blanc reflétant les rayons du soleil, tandis que sur la route ces mêmes fils, si fins, si ténus, si souples, si argentés, accrochés aux arbres, flottent et ondulent dans l’air matinal.

Bientôt, on en est couvert. Ces légers filaments adhèrent aux vêtements, aux chapeaux de paille ; les uns viennent se fixer contre le visage et produisent une sensation légère qui, à la longue, finit par devenir agaçante ; les autres, plus ténus, passent au-dessus de votre tête, emportés par la brise. La campagne en est toute blanche et le paysan, les voyant s’élever de tous côtés, pense en lui-même : « L’hiver sera dur cette année ». Ils portent un nom bien gracieux, ces filaments ondoyants que l’automne nous envoie. Dans toutes nos vieilles provinces françaises, ce sont les Fils de la Vierge. C’est, suivant les antiques légendes, les fils provenant de la quenouille de la mère de Jésus-enfant. Pendant qu’il sommeille, la Vierge assise les file de ses doigts menus au bout de son fuseau, et les laisse s’éparpiller dans l’air, pour rendre plus chaud, l’hiver, le nid des oiselets.

Telle est la version normande ; mais en d’autres pays, la légende devient plus sombre. Le « fil de la Vierge » serait destiné à tisser le linceul de mort des miséreux qui tombent abandonnés au coin d’un bois, au revers du talus d’un fossé, le long de la grande route. Ce ne serait plus, comme la morne chanson des Tisserands, de Gérard d’Hauptmann, le pauvre artisan qui, lui-même, tisserait son drap funèbre ; c’est la Vierge mère qui prendrait souci de cette tâche. A l’un des derniers salons, le peintre F. Lucas avait donné une nouvelle version de la légende. Marie, humble, candide, s’est endormie sur la terrasse que dore le soleil couchant. La nuit vient. Un vol de bergeronnettes s’est abattu autour du rouet silencieux et, becquetant la laine blanche, elles emportent les fils ténus pour les semer dans la campagne aux branches des buissons. Quoi qu’il en soit, riante ou sombre, la légende existe, et le « fil de la Vierge » est entouré, dans nos campagnes, d’une sorte de superstitieux respect.

Notre siècle positif, qui difficilement admet ces contes symboliques, a voulu savoir le pourquoi exact de ces filaments épars et volants, leur nature, leur origine. Il a voulu savoir ce qu’était le mystérieux « fil de la Vierge », et il a trouvé qu’il était en tous points semblable aux fils des toiles d’araignée que nous voyons dans les vieux greniers et dans les coins où le plumeau de la ménagère va les déloger sans souci de la bestiole qui les a tissés ; s’ils sont plus blancs, plus argentés, c’est tout simplement qu’ils ont été filés en plein air, au soleil, loin des poussières qui les souillent en nos logis.

Ainsi que l’a démontré, le premier, le naturaliste Latreille, ces fils sont dus à une aranéide tendeuse et fileuse, connue en France sous le nom d’épeire diadème ou araignée de jardin. Elle est roussâtre, veloutée, avec un abdomen très volumineux, portant sur le dos une triple croix jaune ou blanche. C’est elle qu’on rencontre fréquemment à l’automne dans nos jardins, où elle tisse de larges rosaces verticales. Pour cela, elle secrète sa soie par quatre mamelons, qui sont eux-mêmes percés d’une infinité de petits trous.

(...)

17 Septembre 1899. GEORGES DUBOSC

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire