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lundi 19 avril 2010

GROS-CÂLIN d'Emile Ajar (Romain Gary) 1974

Un livre émouvant, drôle et pathétique sur la solitude parisienne d'un homme qui cherche quelqu'un à aimer à Paris et comble son manque d'affection par la compagnie d'un python.

« Or s’il est une chose, justement, qui ouvre des horizons, c’est l’ignorance. Lorsque je regarde Gros-Câlin, je le vois lourd de possibilités à cause de mon ignorance, de l’incompréhension qui me saisit à l’idée qu’une telle chose est possible. C’est ça, justement, l’espoir, c’est l’angoisse incompréhensible, avec pressentiments, possibilités d’autre chose, de quelqu’un d’autre, avec sueurs froides. », p.27

« (…) On se rencontre, on ne se rencontre pas. En général, l’homme et la femme qui sont prédestinés ne se rencontrent pas, c’est ce qu’on appelle destin, justement. (…) C’est dans le dictionnaire. Fatum, factotum. On ne peut pas y échapper. (…) La tragédie grecque. Je me demande même parfois si je n’ai pas des origines grecques. C’est toujours quelqu’un d’autre qui rencontre quelqu’un d’autre (…). On dit « la tragédie grecque », mais on ne dit pas « le bonheur grec »", p. 39-40

« Je lui ai dit que j’étais certainement un acte contre nature comme tout ce qui est en souffrance et que j’étais fier de l’être et que quand on respire c’est pour aspirer et qu’aspirer c’est un acte contre nature comme les premiers chrétiens et que la nature j’en avais plein le cul, révérence parler, et que j’avais besoin de tendresse et d’affection et d’amitié et merde »., p. 44

« Ce qui me bouleverse chez les souris, c’est leur côté inexprimable. Elles ont une peut atroce du monde immense qui les entoure et deux yeux pas plus gros que des têtes d’épingles pour l’exprimer. Moi, j’ai des grands écrivains, des génies picturaux et musicaux. », p.49

« Vous souffrez de surplus, dit le père Joseph. D’excédent, si vous préférez. (…) Vous crevez d’amour (…). Vous manquez de résignation chrétienne, dit-il. Il faut savoir accepter. Il y a des choses qui nous échappent et que nous ne pouvons pas comprendre, il faut savoir l’admettre. Ça s’appelle l’humilité. (…) Vous savez, il y a des enfants qui crèvent de faim dans le monde, dit-il. Vous devriez y penser de temps en temps. Ça vous fera du bien. » (…) Je suis rentré chez moi, je me suis couché et j’ai regardé le plafond. J’avais tellement besoin d’une étreinte amicale que j’ai failli me pendre. », p.51

« Je me sentais bien, j’éprouvais une sorte d’euphorie et de prologomène, mot dont je ne connais pas le sens et que j’emploie toujours lorsque je veux exprimer ma confiance dans l’inconnu. », p.62

« Ainsi qu’on l’a remarqué sans cesse dans ce texte, il y a dix millions d’usagés dans la région parisienne et on les sent bien, qui ne sont pas là, mais moi, j’ai parfois l’impression qu’ils sont cent millions qui ne sont pas là, et c’est l’angoisse, une telle quantité d’absence. J’en attrape des sueurs d’inexistence (…). » p.63

« Vous savez dans l’agglomération parisienne, il faut quelqu’un à aimer… Quelqu'un à aimer...Il faut être con, quand même, pour dire ça à une jeune femme. », p.64

« Et ma température est, aussi étrange que cela puisse paraître, 36°6, alors que je sens quelque chose comme 5° au-dessous de zéro. Je pense que ce manque de chaleur pourra être remédié un jour par la découverte de nouvelles sources d’énergies indépendantes des Arabes, et que la science ayant réponse à tout, il suffira de se brancher sur une prise de courant pour se sentir aimé », p.67-68.

« C’était l’angoisse. Je me sentais complètement libre sans aucun lien de soutien avec personne, une liberté sans dépendance aucune et avec personne à l’appui, qui vous tient prisonnière pieds et poings liés et vous fait dépendre de tout ce qui n’est pas là et vous rend à votre caractère prénatal, avec anticipation de vous-même. », p. 78

« Il n’y a rien de plus vachard, de plus calculé et de plus traître que les pays où l’on a tout pour être heureux. Si on avait ici la famine en Afrique et la sous-alimentation chronique avec dictature militaire, on aurait des excuses, ça dépendrait pas de nous. », p.79

« Je pense que ce curé a raison et que je souffre de surplus américain. Je suis atteint d’excédent. Je pense que c’est en général, et que le monde souffre d’un excès d’amour qu’il n’arrive pas à écouler, ce qui le rend hargneux et compétitif. Il y a le stockage monstrueux qui se deperdissent et se détriorent dans le for intérieur, produit de millénaires d’économies de thésaurisation et de bas de laine affectifs, sans autre tuyau d’échappement que les voies urinaires génitales. », p.80

« L’amour est peut-être la plus belle forme du dialogue que l’homme a inventé pour se répondre à lui-même. », p.94

« C’est nous qui faisons parler le monde, la matière inanimée, c’est ce qu’on appelle la culture, qui fait parler le néant et le silence. », p.94

« Peut-être qu’il entendait une musique intérieure formidable, avec caisses, violons et percussions et il voulait la faire écouter au monde entier dans un but de générosité, mais il faut un public, des amateurs, de l’attention, et des moyens d’expression, les gens n’aiment pas s’habiller et se déranger pour rien. C’est ce qu’on appelle, justement de concert. La musique à l’intérieur est une chose qui a besoin d’aide extérieure, sans quoi elle fait un bruit infernal parce que personne ne l’entend. », p.99

« Ils ont cru que je souffre seulement de manque extérieur, alors que je souffre aussi d’excédent intérieur. Il y a surplus avec absence de débouchés », p.112

« Je sais également qu’il existe des amours réciproques, mais je ne prétends pas au luxe. Quelqu’un à aimer, c’est de première nécessité. », p. 117

« Je souffre simplement d’un surplus américain que je ne parviens pas à écouler sans autre moyen d’expression qu’une discrète publicité clandestine, souriante, dans le genre main tendue », p.128

« Il y a cinquante mille Ethiopiens qui viennent encore de mourir de faim, pour détourner notre attention, je sais, mais ça ne me fait pas de l’effet, je veux dire, je me sens aussi malheureux qu’avant. C’est mon côté monstrueux. », p.131

« Les gens sont malheureux parce qu’ils sont pleins à craquer de bienfaits qu’ils ne peuvent faire pleuvoir sur les autres pour cause de climat, avec sécheresse de l’environnement, chacun ne pense qu’à donner, donner, donner c’est merveilleux, on crève de générosité, voilà. Le plus grand problème d’actualité de tous les temps, c’est ce surplus de générosité et d’amitié qui n’arrive pas à s’écouler normalement par le système de circulation qui nous fait défaut, Dieu sait pourquoi (…). Je porte en moi en quelque sorte des fruits prodigieux invisiblement qui chutent à l’intérieur avec pourrissement (…). ».p.133

« Je ne sais si on mesure suffisamment toute l’importance qu’un événement peut prendre, lorsqu’il risque de ne pas se produire », p.145

« Je ne suis pas du genre qui se suicide, étant sans aucune prétention et toute la mort étant déjà occupée ailleurs. Je n’étais pas intéressant, il n’y en avait pas assez pour un massacre et pour l’intérêt », p.165

« Dès que je me rapproche du néant, je devins en excédent. Dès qu’on se sent de moins en moins, il y a à quoi bon et pourquoi foutre. Il y a poids excessif. », p.197

« Dans une grande ville comme Paris, on ne risque pas de manquer », p.215

 Pourquoi ce livre ?
Parce que je cherche à vider ma bibliothèque des livres non-essentiels à ma vie ou mon travail et que j'ai trouvé celui-ci que je n'avais pas encore lu.
Je l'ai trouvé à la bourse aux livres de la Fête de la Cité je crois et je l'avais pris pour Aurélien parce qu'au dos de couv, y était évoquée la Guyane ; je l'ai offert à Aurélien et lui ai écrit un mot en disant que parce qu'il avait penser à y aller, je le lui offrais ; mais à notre rupture, pensant/sachant qu'il ne le lirait jamais, je l'ai repris. Je pense que j'ai bien fait parce que ça ne parle pas du tout de la Guyane finalement...Mais de Paris, plus que jamais. Je suis contente d'avoir lu ce livre de Romain Gary. C'est un des livres les plus pathétiques que je n'aie jamais lus de ma vie. C'est un livre vraiment triste, et drôle, mais surtout triste. Et si jamais je réussis mon projet de roman, celui-ci m'aura fortement influencé dans ma démarche : s'en souvenir.