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vendredi 12 novembre 2010

DIEU QU'ILS ETAIENT LOURDS, LF Céline, Théâtre du Lucernaire (6ème)


Dieu qu’ils étaient lourds.
Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs
Le vendredi 12 novembre 2010 à 19 heures.
Auteur : Louis-Ferdinand Céline (à partir d’archives d’entretiens radiophoniques).
Conception/adaptation/mise en scène Ludovic Longelin
Avec : Marc-Henri Lamande et, en alternance, Ludovic Longelin et Régis Bourgade
Durée : 1h08
***Très bien.

Ce qu’on retiendra la pièce c’est ce qu’on savait déjà de Céline : il disait qu’il détestait les idées (« Les philosophes en font une industrie »), les histoires, et il n’avait qu’un seul mot à la bouche : le style. Mais aussi la technique, le travail. Le style au service de l’émotion à travers le lyrisme (le lyrisme, c’est l’expression des émotions personnelles). Son style : « Des émotions parlées à l’écrit ». Il a renouvelé l’écrit par son style oral.

Céline rappelle que le lyrisme en France est dénigré en faveur d’un style académique établi fait pour le baccalauréat, la licence, l’Académie. Autrement dit la norme.
Il revendiquait la valeur du travail, son travail, sa peine laborieuse à faire surgir des phrases de l’émotion.

Pourtant, il prétendait n’avoir que faire des lecteurs, dont il espérait seulement qu’ils achètent ses livres. En ses lecteurs, ils ne voient que de potentiels acheteurs.

Dès le début de la pièce, d’ailleurs, on lui demande se définir par un mot, il répond qu’une belle machine peut être fait par un type totalement mauvais, aux mille problèmes, peut-être pédéraste, mais qu’il s’en fout du type qui l’a fait, la machine, c’est la beauté de la machine qui compte.
Dès le début et depuis toujours, il se dénigre sa sensibilité humaine, il SE dénigre en tant qu’être humain sensible.

Quel paradoxe pour un homme qui revendiquait travailler pour unique objet principal l’émotion ! L’émotion, pour vendre simplement, donc, et on devrait avaler ça. Impossible. Je dis que c’est impossible.
Ce discours sempiternel de dissocier homme/œuvre, ce discours de Marcel Proust contre Sainte-Beuve, que Céline lui-même approuve, je dis NON.

Je dis que Céline était profondément sensible et qu’il ne le savait pas lui-même. Je ne jouerai pas son jeu conscient ou inconscient. Je dis que c’est un discours d’auto-protection, parce qu’il est un homme, et un homme ne dit pas qu’il est sensible et que ça le fait tellement plus de faire le génie sans cœur capable de faire pleurer les gens. Pourtant son côté féminin, il l’assume, sa sensibilité, elle est dans son pseudonyme même : le prénom de sa grand-mère…

Alors au diable les grands discours de Céline sur sa prétendue insensibilité humaine et lisez son merveilleux Voyage au bout de la nuit (le plus humaniste de tous les livres : j’en pleure encore rien qu’en y pensant), sachez quelques-uns de ses actes humanistes et humanitaires en tant que médecin dans la vraie vie et pas seulement ses discours antisémites ou antihumanistes, ses lettres à sa femme envoyées de sa prison au Danemark.

On ne peut pas inventer l’émotion froidement comme un pur artisan, comme pour un objet. Et pourtant c’est le discours dont nous martèle Céline : il n’était qu’un simple artisan, et son matériau, c’était l’émotion.

Il dit n’avoir pas connu de grand bonheur autre que le travail, mais en revanche beaucoup de malheurs.
Il ne buvait que de l’eau, ne fumait pas, « voyeur » plutôt que consommateur.

L’acteur qui a eu droit à quatre rappels, est excellent. Mais bien sûr que c’est Céline qu’on applaudit aussi, en même temps. Céline est le cliché du grand bourru au grand cœur et l’acteur sait jouer ce personnage. Je l’aime de tout mon cœur avec toutes les conneries les plus horribles qu’il ait dites, parce que tout le monde dit et fait des conneries, merde, dans un contexte historique donné. Il faut arrêter d’idéaliser la France qui était aussi constituée de vichystes pour la paix et de collabos que de résistants contre l’Allemagne. Merde.  Céline condamné à mort pour ses « idées », ça s’appelle un bouc-émissaire pour se donner bonne conscience rétrospectivement et ça, ça m’écœure.

Je dis aussi que Michel Houellebecq (qui vient de gagner le Prix Goncourt et s'en émeut), c’est de la merde. Que Les Particules élémentaires, je l’ai lu à sa sortie et que ça s’appelle un DIVERTISSEMENT littéraire SYMPATHIQUE. Mais en aucun cas une empreinte stylistique dans le temps. Que Céline fait bien de rappeler qu’il n’y a que deux ou trois auteurs par génération qui marquent leur temps par leur style. Je pense à William Faulkner pour le XXème siècle, Proust.

Qu’il fait bien de dire qu’il fait exprès de travailler aussi durement son style afin de dégoûter les lecteurs de tout ce qu’ils liront après, parce que c’est VRAI. Bordel, c’est trop vrai et ça fait trop chier. Non seulement, c’est très dur d’être satisfait ensuite par un autre auteur, mais en plus soi-même, on ne peut pas écrire !
Il faudra vraiment un jour que je me rende sur sa tombe à Meudon pour lui déclarer mon amour et ma haine de ne jamais pouvoir lui ressembler… stylistiquement parlant.