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dimanche 26 décembre 2021

"De purs hommes", Mohamed Mbougar Sarr, Sénégal, 2018.

Titre : De purs hommes. 
Auteur : Mohamed Mbougar Sarr (auteur sénégalais francophone, Prix Goncourt 2021).
Année de publication : 2018. Pays : France.

Lu pendant les vacances d’hiver 2021, fini le dimanche 26 décembre 2021.
Contexte d’achat, le dimanche 5 décembre 2021 : Série de tables-rondes autour de l’exposition « Picasso, l’étranger » au Musée de l’Histoire de l’Immigration. Mohamed Mbougar Sarr, Prix Goncourt 2021 y a participé et a dédicacé ses livres. Je n’avais pas envie d’investir une vingtaine d’euros dans le Goncourt que je n’étais pas sûre d’aimer. En revanche, il a été rappelé que les Sénégalais ne se réjouissaient pas de son prix à cause de son roman « De purs hommes » et son sujet, l’homophobie. C’est donc avec moins de scrupules économiques que j’ai acheté ce livre, le moins cher de toute la table (7 euros 20), pour l’utilité qu’il pourrait avoir auprès de mes élèves (je n’ai aucune référence littéraire traitant clairement de l’homosexualité à part Jean Genet, auteur étudié à l’Université, dont je n’ai pas lu le roman consacré à ce sujet précis).

Résumé : Ndéné Gueye, jeune professeur de Lettres à Dakar, découvre par sa maîtresse Rama, une vidéo virale qui circule sur les réseaux sociaux du pays montrant un homme mort déterré d’un cimetière musulman parce qu’il est gay. Au début, il n’est pas intéressé mais depuis qu’il comprend la haine que cela déclenche dans sa communauté musulmane, il s’y intéresse davantage et découvre au fur et à mesure un problème identitaire personnel au coeur de ce problème d’homophobie nationale.

Avis : Récit écrit à la première personne franchement bien écrit dans sa structure (les chapitres sont brefs, à la Kundera, comme j’aime) et appréciable par sa franche honnêteté dans le contenu : le protagoniste y expose toutes ses faiblesses, avec parfois un brin d’humour. 

Il y défend des convictions personnelles : il affirme que ce qui lie les êtres humains entre eux, peu importe leur condition sociale, leur couleur ou leur religion, c’est la solitude mais aussi la violence métaphysique. 

En revanche, l’évolution du personnage principal n’est pas du tout crédible et la progression du récit, précipitée hâtivement vers ce but invraisemblable : quel dommage ! Sauf si l’auteur en a éprouvé lui-même la nécessité pour des raisons personnelles, c’est la seule cause plausible que je vois pour expliquer cette fin farfelue, qui pour moi, ôte tout le propos sincèrement humaniste de ce roman. Que cet avis personnel ne vous empêche pas toutefois de le lire, je vous en prie.

Note 1 : Je me suis un peu reconnue dans le portrait du personnage féminin Rama (p. 63-65) sur sa lucidité et sa capacité d’empathie à la différence que je ne travaille pas dans le monde de la nuit et que je n’ai pas la beauté que l’auteur lui attribue en la décrivant, ni sa force, son courage et son indépendance assumée. « Rien dans sa quête de jouissance et de bonheur n’était vulgaire », p. 63. « Oui, c’est ça : elle était une hédoniste. Elle n’était pas dans une quête effrénée et égoïste du plaisir, elle vivait dans une relation au monde où le plaisir serait en partage, en toute liberté », p. 65.

Note 2 : Jalouse des deux personnages féminins qui sont plus ouvertes d'esprit que moi encore, toutes deux bisexuelles. J'espère ne pas mourir idiote.

Passage à étudier avec des élèves (niveau seconde, histoire de se protéger) sur le thème de l’homosexualité : chapitre 8, p.73 : « Vous savez pourquoi Verlaine a été interdit par le ministère... » jusqu’à « Qu’ils baisent des musaraignes ! » Où étais-je allé chercher ça ?, p. 77. Discours que je tiens moi-même à mes élèves : je n’aime pas Freddie Mercury parce qu’il est gay mais pour son talent de chanteur compositeur qui a bouleversé mon âme dans ses moindres tréfonds. De la même manière, je n’aime pas Céline parce qu’il est antisémite mais parce qu’il a aussi bouleversé mon âme par son talent de romancier.

Passage sur l’évolution logique vers le découragement de tout professeur ayant fait ce métier par vocation, ici en Lettres, à l’Université : le chapitre 2 en entier, p.21 à 28. On y apprend que le protagoniste, au début enflammé par sa vocation, finira par abandonner, le système dirigé par des egos aux enjeux de pouvoir ayant écrasé toutes ses velléités pédagogiques sincères. Totale empathie ! 

Passage sur l’ancien comportement des homosexuels au Sénégal (et on pourrait dire que c’était la même chose chez nous aussi) : ils étaient discrets, ne se faisaient pas remarquer, p. 145.

Passage qui rend compte du décalage avec l’Occident sur la question et susceptible de rendre islamophobe (et anti-religion en général puisque les Chrétiens intégristes se servent du passage de Sodome et Gomorrhe de la Bible pour défendre leur homophobie aussi, rappelons-le) : « Dans leur pays, les Occidentaux sauvent les homosexuels ; ici, on les condamne. Ils ne se rendent pas compte que les pressions qu’ils exercent sur nos gouvernements pour la dépénalisation de l’homosexualité produisent l’effet inverse : une montée de l’homophobie. Ils ne le comprennent pas... », p. 148.

Citations :

Sur la solitude. « Nous sommes souvent durs envers l’humanité, sa bêtise, ses fautes et sa laideur, mais nous n’avons qu’elle. Elle est notre seule vraie famille, notre unique refuge contre notre solitude. Oui, nous sommes fondamentalement seuls et, sans la communauté de solitudes que forme et nous offre l’humanité, aucun de nous ne tiendrait un round face à lui-même. On réussit à continuer à vivre parce qu’on sait que tous, riches, pauvres, Juifs, Miss Univers, Prix Nobel, et même les Américains, tous sont aussi seuls que nous. Cette idée est faible, égoïste, lamentable, je l’admets. Elle est désespérante et ne fait aucun cas de l’amour. Mais elle a aussi pour moi quelque chose de bassement réconfortant », p. 48.

Sur la violence : « J’ai toujours pensé que l’humanité d’un homme ne fait plus de doute dès lors qu’il entre dans le cercle de la violence, soit comme bourreau, soit comme victime, comme traqueur ou comme traqué, comme tueur ou comme proie », p. 125.

« Ce sont de purs hommes parce que à n’importe quel comment la bêtise humaine peut les tuer, les soumettre à la violence en s’abritant sous un des nombreux masques dévoyés qu’elle utilise pour s’exprimer : culture, religion, pouvoir, richesse, gloire…

Les homosexuels sont solidaires de l’humanité parce que l’humanité peut les tuer ou les exclure. On l’oublie trop souvent, ou on ne veut pas s’en souvenir : nous sommes liés à la violence, lié par elle aux uns aux autres, capables à chaque instant de la commettre, à chaque instant de la subir. Et c’est aussi par ce pacte avec la violence métaphysique que chacun porte en lui, par ce pacte, autant que tout autre, que nous sommes proches, que nous sommes semblables, que nous sommes des hommes. Je crois à la fraternité par l’amour. Je crois aussi à la fraternité par la violence », p. 126.

Sur la lucidité : « Le courage est un grand mot. C’est un mot pour les héros. Ils sont rares et je n’en suis pas. Je te parle de quelque chose d’autre, de plus simple et de plus difficile à la fois que le courage : la lucidité ».

« Ça ne concerne pas que toi, Ndéné, dit-elle. Pour chacun d’entre nous, être lucide signifie pouvoir se regarder en face, quel que soit son visage. Même laid, même balafré, même couvert de plaies et de pus, même gangréné, il faut regarder. C’est simple »., p. 180-181.

Lexique :

Goor-jigéen : n.m. homme-femme en wolof. Mot fourre-tout pour homosexuel, transgenre, travesti.

Sabar : n.m. mot wolof désignant à la fois une sorte de tam-tam, une danse et une fête traditionnelle, p.30. « Au fond, on se fichait même totalement de justifier un sabar, aucune raison n’était nécessaire », p. 31.

Agonir : vb. Accabler d’injures. « J’étais prêt à agonir l’importun qui m’appelait si tôt, à 13 heures », p. 38.

Sine die : latin. Locution adverbiale latine, littéralement « sans jour » : sans fixer de (nouvelle) date.

« Et comme à chaque fois que j’essayais d’affronter cette tâche, je me rappelai la raison pour laquelle je l’avais fuie et reportée sine die dans un geste de peur : elle était sisyphéenne, mortelle », p. 42. (il parle de la tâche qui consiste à lire ses mails professionnels : empathie totale ! Je ne les lis plus non plus : il y en a TROP).

Componction : n.f. Douleur affectée. Emprunté au bas latin compunctio proprement « piqûre » employé dans le domaine médical au sens de « douleur poignante » et chez les auteurs chrétiens au sens de « piqûre morale, amertume » et « douleur de l'âme causée par le sentiment du péché ». « Je tentais de lui donner quelque chose qui n’était ni de la componction affectée qu’on peut ressentir et étmoigner à une mère endeuillée -celle-là ne suffit jamais- ni le sentiment présomptueux de comprendre sa douleur – celui-là est toujours illusoire – mais, bien plutôt, un autre présent, à la fois plus précieux, plus modeste que la compassion ou l’empathie, ma présence, ma simple mais totale présence », p. 139. 
Note personnelle : Cela, je l’ai appris à mes dépens parce que j’ai fait tout l’inverse dans l’immaturité la plus totale avec d’abord ma cousine Nadège qui m’en a beaucoup voulu mais aussi mon amie Laurence qui ne m’a plus jamais parlé parce que je ne suis pas venue à l’enterrement de son père. J’ai compris suite à ces deux erreurs que suite à un deuil, il fallait juste être là et ne rien dire. Laax : (ou lakh) n.m. wolof, plat sénégalais « bouillie de mil arrosé de lait caillé » « C’était son plat préféré » (en parlant de son fils, le défunt déterré), p. 140. https://fr.wikipedia.org/wiki/Lakh 

Pour aller plus loin : Sodome (ville de Lot) et Gomorrhe (ville voisine de la première) : villes de l’ancienne Palestine, non citées dans le Coran mais point commun avec l’histoire du personnage Lot, chef d’une ville (Sodome dans la Bible) détruite par Dieu à cause du péché de ses habitants. Ça, c’est le minimum sur quoi tout le monde s’entend parce qu’alors sur l’histoire dans ses détails, elle n’a ni queue ni tête ! 
En gros, deux Anges déguisés en humains viennent tester l’hospitalité (loi antique très importante) de Lot à Sodome. Il les héberge. Les habitants de Lot frappent à la porte et demandent à les « connaître ». Lot refuse et propose de leur donner ses filles vierges en échange (wtf???). Dieu a ainsi la confirmation que c’est une ville qui 1) n’est pas hospitalière puisque les habitants font chier Lot et/ou 2) que c’est une ville d’homosexuels puisque les habitants ont voulu violer les deux étrangers. Les Anges préviennent Lot de la destruction imminente de Sodome et lui disent de fuir avec sa femme et ses filles. Son épouse se retourne et se retrouve changée en statue de sel (ne jamais regarder en arrière). Il se retrouve seul avec ses filles dans une grotte. L’aînée, inquiète de ne pas trouver d’hommes dans ce bled perdu, enivre son père et le viole et incite une de ses sœurs à faire de même. Elles tombent toutes deux enceintes. YOUPI... 

Heu...C’est la Bible ou le scénario d’une petite vidéo porno pour chrétiens intégristes hautement frustrés sexuellement, ce délire ??? Franchement, amis rebelles et libertins : tournons gaiment ce passage de la Bible dont le scénario n’a aucune vraisemblance ni crédibilité tant il est TORDU ! Je ne comprends pas pourquoi on fait tout un foin depuis des siècles sur un passage franchement obscur dont l’interprétation homosexuelle a été clairement ultérieure à son écriture quand l’idée d’un père qui propose ses filles à des habitants furieux (de quoi vraiment, on ne comprend pas) ne choque personne, pas plus que l’inceste inversé dans une grotte grâce à l’alcool !

Récit biblique (source : Wikipédia)

Après avoir quitté Ur en compagnie d'Abraham, Loth arrive sur les bords du Jourdain. Riches en troupeaux, ils se séparent à la suite d'une querelle entre leurs bergers : Abraham reste dans le pays de Canaan et Loth descend vers Sodome.

Au cours d'un sac de Sodome, Loth est fait prisonnier par Kedorlaomer, roi d'Élam, et ses alliés. Abraham les bat et ramène Loth à Sodome.

Un soir, deux anges sont accueillis par Loth dans sa maison à Sodome. Les hommes de Sodome « du garçon au vieillard » entourent la maison en lui demandant qu'il leur livre les deux étrangers pour qu'ils les « connaissent » (Genèse 19:5). Dans ce passage, les habitants de Sodome disent à Loth : « Où sont les hommes qui sont venus chez toi cette nuit ? Amène-les nous pour que nous les connaissions. » (yada’ en hébreu). Sur le seuil, Loth les supplie de ne pas manquer à l'hospitalité et leur propose ses deux filles vierges en échange mais les habitants refusent. Le peuple s'emporte plus encore contre cet émigré qui fait le redresseur de torts. Les deux anges font alors rentrer Loth, ferment la porte et frappent le peuple de cécité. Puis ils déclarent que Dieu va détruire la cité, et disent à Loth de fuir avec sa famille. Il réveille alors ses futurs gendres, mais ils ne le croient pas.

À l'aurore, les deux anges le pressent de partir pour la montagne avec ses filles. Ils leur recommandent de fuir sans se retourner. Loth pense n'atteindre que la ville de Tsoar, que Dieu se résout à épargner. Dès qu'il entre à Tsoar, Dieu fait pleuvoir du soufre et du feu sur Sodome, Gomorrhe, Adama et Seboïm qui sont détruites3. Sodome, Gomorrhe, Adama et Seboïm se trouvent près de Lésa à la frontière du territoire des Cananéens4, sur les berges méridionales de la mer Morte dans la plaine de Siddim (c'est-à-dire la mer Salée) remplie de puits de bitume6. Dans le récit biblique, la femme de Loth se retourne et devient une colonne de sel7. Le fait de se retourner est frappé d'interdit dans de nombreuses cultures comme dans le mythe d'Orphée et d'Eurydice rapporté par Platon où Orphée se retournant perd pour toujours son épouse Eurydice8. Dans le récit biblique, Jésus demande à ses disciples de ne pas se retourner pour regretter des biens inutiles au salut9 et de se souvenir de la femme de Loth.


Dans le Coran, la première mention du récit se trouve au chapitre 7, versets 80 à 84 :

« Et Lot, quand il dit à son peuple : « vous livrez vous à cette turpitude que nul, parmi les mondes, n'a commise avant vous ? Certes, vous assouvissez vos désirs charnels avec les hommes au lieu des femmes : Vous êtes bien un peuple outrancier. » Et pour toute réponse, son peuple ne fit que dire : « Expulsez-les de votre cité. Ce sont des gens qui veulent se garder purs ! » Or, Nous [Dieu] l'avons sauvé, lui et sa famille, sauf sa femme qui fut parmi les exterminés. Et Nous avons fait pleuvoir sur eux une pluie. Regarde donc ce que fut la fin des criminels. »

« Des gens qui veulent se garder purs » : expression dite par ironie. (Note de l'édition Albouraq.)

L’explication géologique de la destruction de Sodome et Gomorrhe : https://www.dinosoria.com/sodome_gomorrhe.htm 


Dédicace de Mohamed Mbougar Sarr, le dimanche 5 décembre 2021.

Cadeau à mes élèves (hélas trop jeunes encore pour atteindre ce niveau de lecture, hormis peut-être de futurs élèves brillantissimes). 
La plus grande lectrice que j'ai eue jusqu'à présent en 15 ans d'enseignement est une ancienne élève musulmane que j'ai eue à 12 ans. En 2021, elle a 16 ans, veut faire des études littéraires plus tard et considère l'acte sexuel comme "dégoûtant" et "répugnant", se promettant à elle-même de ne jamais le pratiquer. 
Je le sais car lors d'un cours particulier (que je lui ai donné gratuitement non parce que je suis quelqu'un de gentil mais en remerciement sincère du sens qu'elle a donné à mon métier), j'ai évoqué le rapport sensuel à l'objet-livre en disant spontanément "faire l'amour à un livre", en allusion à la version papier, incomparable au numérique selon moi pour vivre pleinement son expérience de lecture. 
Je ne m'attendais pas à une telle réaction offusquée digne d'une pièce de Molière (même Agnès est plus évoluée dans l'ignorance) et lui ai rappelé que dans les trois mots que j'avais utilisés, il y avait "amour" et que combinés ensemble, "faire l'amour" faisaient référence à un acte beau et pur et n'avaient aucun rapport avec la pornographie (étant donné l'état dans lequel mes mots l'avaient mise, je me suis sentie obligée d'établir leur claire distinction). 
Sa réaction d'un autre temps m'a tout autant offensée, moi, produit scolaire du Siècle des Lumières (au programme de 4ème), lectrice de La Religieuse de Denis Diderot ! 
Elle ne supporte pas que je dise que l'Islam y est pour quelque chose dans sa vision de l'acte charnel, au même titre que la religion chrétienne (je l'ai bien précisé) prétendant avec force que sa vision était purement individuelle. J'espère qu'elle fera des études supérieures qui lui apprendront le rôle du conditionnement et surtout celui de la religion au sein des familles CULTURELLEMENT pauvres.  
Alors certes, on pourrait rétorquer que moi aussi, je ne suis q'un produit socio-culturel-historique occidental moi-même mais ce dernier m'a conditionnée à vouloir la liberté de tout individu ne nuisant pas à autrui de façon malveillante et c'est un conditionnement que je bénis, que je chéris et que j'ai à coeur de transmettre.
Hâte qu'elle grandisse et apprenne. À quoi sert-il de grandir en France pour être aussi attardé mentalement que là-bas, bordel ???