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samedi 27 octobre 2012

LE DOUBLE de Fedor DOSTOIEVSKI, 1846-1865 (RUSSIE)






...ou la différence cuisante entre ce que nous croyons être (quelqu’un de bien) ; ce que nous sommes vraiment (quelqu’un de médiocre) et ce que nous voudrions être secrètement (quelqu’un de fort).

L’histoire :

Le héros nommé Goliadkine, est un fonctionnaire dans l’administration laid et sans charme mais très content de lui-même moralement tout en vivant dans une perpétuelle angoisse qui l’empêche de vivre sereinement. Souffrant de ce mal, il va rendre visite à un médecin qui exprime d’emblée son agacement à sa vue.
Ce médecin lui suggère fortement d’avoir une vie sociale faite comme tout le monde d’amis, de femmes, d’alcool et de divertissements, en lui expliquant que c’est là le remède principal à son mal. Mais Goliadkine refuse ce conseil qu’il prend pour une atteinte à son éthique personnelle, à son esthétique de vie : il revendique ne pas aimer les mondanités vaines de ce monde et avoir pour compagnie suffisante son valet Petrouchka. Il réaffirme son caractère qui refuse d’avancer masqué dans la société (c’est son leitmotiv) à l’inverse de ses ennemis (autant dire tout le monde) et contre lesquels il ne va pas se laisser faire. Il souffre de paranoïa et de délire de persécution.
Le lecteur comprend alors qu’en guise de héros romanesque, nous avons en fait un anti-héros dépourvu de noblesse d’âme, persuadé d’en avoir une : c’est là tout le drame.
Il se rend ensuite à une soirée de fiançailles à laquelle sont conviés les gens de la Haute-administration mais à laquelle il n’est nullement invité. On comprend clairement qu’il est amoureux de la jeune femme destinée à être mariée et qu’il est jaloux de son fiancé. S’étant introduit de force, il se fait finalement jeter dehors de la façon la plus humiliante et pathétique possible : il bégaye des explications à des supérieurs qui n’ont aucun sens, devient rouge de honte, au bord des larmes. Fortement troublé par cet incident qui a piétiné son ego, il ne cesse de ruminer l’événement en se posant comme victime d’une machination terrible contre lui visant à l’anéantir.
Jusqu’au moment où il croise dans la rue…son double qui se retrouve du jour au lendemain dans le même service que lui ! Ce double qui a exactement la même apparence que lui, le même nom et le même prénom le jette dans un profond –nouveau- trouble où il pense devenir fou. Il en parle à un collègue qui lui dit que cela n’a rien d’extraordinaire, que cela arrive, que sa propre tante avait un sosie elle aussi. Mais Goliadkine ne cesse de lui communiquer son angoisse ce qui finit par agacer profondément son collègue qui est obligé de lui rappeler sèchement qu’il a beaucoup de travail. Or ce double, dès la fin de la journée, accoste le héros et lui demande un entretien personnel et d’une ruelle méprisante à son égard, ils passent au domicile de Goliadkine où Petrouchka demande s’il doit servir deux portions.
Après un dîner frugal expédié dont Goliadkine a honte envers son invité au niveau des apparences, le double explique il a enduré plusieurs épreuves difficiles à la suite dans son existence dont celle de vivre dans la rue et aujourd’hui sans le sou, demande protection à notre héros parce qu’il est persuadé que son homonyme ne peut être que quelqu’un de bien. Au début suspicieux et sur la défensive, Goliadkine « aîné » en voit des avantages pour lutter…doublement contre ses prétendus ennemis. Il accueille donc cette idée de protection fraternelle avec une joie débordante et boit jusqu’à l’ivresse du rhum quand de son côté, son double va jusqu’à lui écrire une déclaration exagérée d’amitié en vers. Il s’endort vraiment très heureux pour la première fois depuis longtemps.
Quand le lendemain, tout bascule. La descente vers l’Enfer, la Chute du héros commence : non seulement son double est parti plus tôt que lui au bureau mais feint de ne plus le connaître du tout et révèle son vrai visage : il est ambitieux, vil, mesquin et sournois. Il a les dents qui rayent le parquet et réussit partout où notre héros revendique n’avoir jamais voulu réussir : avoir des missions importantes et être de connivence avec les hauts-fonctionnaires. Il agit sans scrupules et avec grande cruauté : il fait payer à Goliadkine ses notes de restaurant ; fait tout pour que Goliadkine soit ridiculisé et moqué publiquement au travail mais aussi à l’extérieur, l’appelle « mon chéri » pour insinuer qu’il est homosexuel et s’essuie à plusieurs reprises les mains après avoir serrées celles du héros.
S’ensuit un échange épistolaire entre Goliadkine et son double ou un autre fonctionnaire qui l’accuse de diffamation contre son double et de manigances contre ses collègues. Goliadkine retourne sa veste plusieurs fois : tantôt il blâme son double de toutes ses vilénies contre lui ; tantôt il espère sincèrement de nouveau son amitié et son soutien. Bref, il se perd. Arrive une ultime soirée à laquelle il n’est toujours pas invité et à laquelle il s’incruste et se fait jeter de nouveau, par son double-même.
Profondément blessé, abandonné même par son valet qui n’a jamais eu aucun respect pour lui, il se réfugie vers un tas de bois près de la maison de la jeune femme qu’il aime (censée l’aimer de façon réciproque et qu’il s’est mis en tête de sauver de son mariage) ou a lieu une soirée pendant qu’un cocher s’impatiente à l’attendre et à qui il finira par donner congé. Tous les invités finissent pas le voir par la fenêtre alors qu’il est en train de ruminer pathétiquement et l’entraînent à l’intérieur quand tout à coup, il se met à voir des centaines de Goliadkine défiler autour de lui comme une hallucination. Enfin le docteur Christian Ivanovitch Rutenspitz arrive et l’emmène en voiture vers un asile psychiatrique.
C’est le soulagement de la société, des convenances, des gens biens mais du lecteur aussi, qui, s’il est normalement constitué n’aura éprouvé aucun plaisir à lire ce roman du début à la fin ni le moindre attachement à ce héros gênant…le double du lecteur lui-même ?

Commentaires : 

Très content de lui et persuadé d’être blanc de probité vêtu autrement dit supérieur moralement aux autres, alors même qu’il est de toute évidence un véritable loser, le héros agace le lecteur en permanence (comme il agace le Docteur Christian et  son supérieur hiérarchique André Filippovitch, comme il agace tout le monde en fait), ce qui explique sans doute l’échec total du roman à sa publication, pourtant vraiment brillant dans sa conception, dans son projet.
Le souci esthétique, c’est l’écriture : c’est le style indirect libre, qui traduisant les pensées du héros, semble aussi médiocre que lui.

Néanmoins ce qui est brillant dans ce roman, c’est sa capacité à interroger qui nous sommes entre ce que nous croyons désespérément être et valoir et ce que nous sommes et ce que nous valons réellement. Sommes-nous les héros victimes d’un système corrompu ou sommes-nous des êtres faibles et médiocres incapables de réussir dans la société des hommes ? C’est la problématique de ce roman.

En effet, qui n’a pas pensé de soi un jour qu’il ou elle était vraiment « quelqu’un de bien » au niveau de ses valeurs et de ses principes personnels, comparé « aux autres », tous corrompus, tous des vendus, tous d’horribles lèches-bottes assoiffés de réussite aliénés à un système infâme dont il ou elle doit en payer chèrement les conséquences de sa personne pour son refus de jouer cette comédie sociale ? Et si nous n’étions pas simplement des êtres médiocres ? Comme Goliadkine, ce personnage exécrable ?
Qui n’a pas non plus également un jour éprouvé amèrement et non sans envie le triomphe éclatant de tous ces opportunistes sans noblesse d’âme, tous ces comédiens brillants, à qui tout réussit dans notre société ?

D’un autre côté…et si Goliadkine n’était-il pas réellement une pauvre victime, après tout, de la société humaine, éternellement corrompue ? Celle que dénonce Rousseau ? Celle dont parle René Girard dans la Violence et le Sacré où les êtres humains les plus faibles sont de véritables sacrifices humains afin de faire perdurer la cohésion sociale mise en danger par eux ? Lorenzaccio de Musset ne dit pas non plus autre chose et Lorenzo le paiera de sa vie amèrement, dans l’indifférence générale et l’oubli anonyme. Une société corrompue n’est soulagée que lorsqu’elle se débarrasse des êtres encombrants qui perturbent l’ordre de son fonctionnement.
Notons que les indices de ces êtres à éliminer sont visibles physiquement dès le début : Goliadkine est décrit dès l’incipit comme vraiment quelconque voire laid. Lorenzaccio est décrit comme frêle, chétif et au teint blafard. Ce sont des êtres faibles physiquement, malades extérieurement comme intérieurement dont on ne veut surtout pas subir la contamination.
Tous ceux qui pensent que la fin ne justifie pas les moyens ; tous les idéalistes qui refusent d’adhérer au système corrompu de la société, ont dû un jour éprouver ces sentiments d’injustice, de supériorité en morale et d’infériorité en rang. Et les avoir ruminés, comme Goliadkine, au point d’en être déprimé et malheureux avant d’en devenir fou.
Hélas, le processus d’identification ne peut s’opérer de façon positive car ce héros, quand bien même serait-il effectivement plus honnête que la plupart des autres est un être qui est lâche et a la faiblesse de désirer l’amour de son pire ennemi, prêt à renier sur le champ ses prétendues valeurs pour un peu de compassion humaine : il n’est pas digne d’être un héros, il insupporte et doit mourir.


Conclusion : 

Ce roman est définitivement l’ancêtre de Chuck Palahniuk (roman éponyme servant de scénario au film Fight Club de David Fincher que j’adore).
Je ne recommande pas la lecture de ce roman spécialement, mais à un moment de ma vie où j’ai eu envie de démissionner parce qu’incapable de jouer la comédie grotesque des écoles privées pour gosses de riches, je ne suis pas mécontente de l’avoir lu.
Pourquoi ? Parce que je ne veux pas finir comme Goliadkine ou comme Lorenzaccio.
Une de mes meilleures amies m’a fait comprendre qu’il fallait du courage aussi pour jouer le jeu de notre société, afin de survivre.

vendredi 12 octobre 2012

La chute de la maison Usher, de Jean Epstein, (FR + USA)



Adaptation cinématographique de la nouvelle fantastique d’Edgar Allan Poe, The Fall of the House of Usher, 1839 (attention, ce film ne respecte pas l’histoire originale de Poe).
Film muet en noir et blanc, ancêtre du film d’horreur. Les films fantastiques de ce genre n’existent plus vraiment.

Vu le 12 octobre 2012.
Pourquoi ? Parce que « Epstein » sera le nom de famille de mon héroïne Célia, dans le Pigeon mort.

Résumé : Un homme (le narrateur) va rendre visite à son ami Lord Roderick Usher qui lui demande de venir car sa compagne Madeline est gravement malade. Lorsqu’il arrive en ville, les habitants réagissent au nom de « Usher » avec effroi. De caractère exclusif et tyrannique, Lord Roderick contraint sa femme à vivre recluse loin de la ville dans une atmosphère confinée et malsaine.

L’invité voit un tableau de Madeline et Lord Roderick lui explique qu’il est devenu presque de tradition parmi les membres de la famille de passage, de peindre son portrait.


Elle ne vient pas dîner. Roderick aimerait se débarrasser de son invité mais ne peut pas donc l'incite à faire une petite promenade après le dîner afin de pouvoir s’adonner tranquillement à sa passion : peindre Madeline. En effet, il est fasciné par le fait que son portrait paraisse vivant, à l’inverse de la réelle Madeline, très malade.

Plus il la peint, plus elle disparaît sous ses yeux, mais il ne s’en rend pas compte, tant il a envie d’atteindre la perfection dans son tableau. C’est LE moment fantastique du film.


Lorsque l’invité revient de sa promenade, il est fasciné également par le portrait qui semble s’animer quand tout à coup lui et Roderick se prennent les pieds dans quelque chose au sol : c’est le corps de Madeline !

Ils l’enterrent avec son invité, son domestique et son médecin en pleine cambrousse. Quand l’un d’eux s’apprête à clouer le cercueil, il devient fou de colère. Il refuse que l’on cloue le cercueil.

Lord Roderick devient fou de chagrin en niant sa mort jour après jour tandis que la vie devient affreusement monotone, mais le film ne s’arrête pas là. Un soir, tandis qu’une violente tempête fait rage, l’invité essaye tant bien que mal de changer les idées noires de Roderick avec une lecture (Mad Trist, de Sir Launcelot Canning). Mais celui-ci n’écoute que d’une oreille distraite car il est persuadé d’entendre Madeline.

Quand tout à coup, elle surgit effectivement dans sa robe blanche de morte. Roderick n’en revient pas lui-même Or la foudre s’est abattue sur la Maison Usher qui s’effondre, tandis que le narrateur, Roderick portant Madeline, s’enfuient. C’est la chute de la Maison Usher.

Conclusion : d’un autre temps, ce film n’a pas beaucoup d’attrait aujourd’hui. Il mérite d’être vu cependant pour des raisons esthétiques : c’est un film qui illustre parfaitement le genre littéraire fantastique. A voir avec « The Turn of the Screw » d’Henry James adapté au cinéma, plus attrayant car parlant.

Wikipédia : « Grâce à son écriture, le film réussit à créer un climat onirique impressionnant et impose une atmosphère inquiétante et morbide, c'est probablement la plus grande réussite de l'histoire du cinéma français dans le domaine du fantastique. »

Différence majeure entre l’œuvre littéraire et l’adaptation cinématographique : Dans la nouvelle de Poe, Madeline est la sœur jumelle de Roderick et la relation incestueuse est suggérée. Dans le film, c’est sa femme. C’est dommage de n’avoir pas respecté leur véritable relation malsaine.

La nouvelle traduite en français par Charles Baudelaire en ligne : http://fr.wikisource.org/wiki/La_Chute_de_la_maison_Usher