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jeudi 13 juillet 2023

BURNING DAYS D'EMIN ALPER, TURQUIE, 2022.



Burning days d’Emin Alper, Turquie.

Vu en avant-première le mardi 25 avril 2023 au Forum des images.

L’affiche de ce film était partout dans le métro parisien.

Dans mes souvenirs, il était écrit que c’était un « thriller à couper le souffle ».

Le film nous est présenté en introduction comme ayant gagné 9 prix au Festival d’Antalya et ayant fait 250.000 entrées en Turquie. Il a eu également des problèmes avec l’Etat turc qui lui a demandé de rembourser ses subventions car considéré comme un film LGBT.

Qu’en est-il ? De façon très déceptive après avoir vu l’affiche qui mettait en avant un paysage naturel grandiose, toute l’histoire se déroule dans très peu de lieux fermés et en fait quasiment un huis-clos étouffant : le bureau du procureur (le personnage principal), le lac, trois maisons, et le village, très rapidement, lorsqu’on y roule.

Seul le lac est une ouverture vers l’extérieur, avec des paysages naturels panoramiques qui symbolisent très bien les seuls moments de respiration mentale du personnage principal.

Nous suivons la lente mais sûre descente aux enfers d’un jeune procureur citadin fraîchement diplômé dont la première affectation est Konya, une ville rurale de la province du même nom au sud d’Ankara, en Anatolie, dont le réalisateur est issu lui-même.

La première scène est marquante : les habitants poursuivent un sanglier en voiture et tirent avec des armes à feu, en hurlant, en riant. Toute la scène est bruyante, le motif de joie, vulgaire. La chasse au sanglier est le divertissement numéro 1 de la ville. Tout le monde y participe dans la joie et l’allégresse. Sans qu’il parle, à travers la caméra du réalisateur, on ressent le profond dégoût du procureur pour ces gens dénués d’éducation qui ont pour source principaled’amusement, la cruauté envers les animaux. Cette scène n’est pas sans rappeler celle du cochon dans Voyage au bout de la Nuit. Je ressens exactement la même chose envers les gens qui aiment les férias et les corridas. L’argument fallacieux de la tradition ( « C’est la tradition ») est démonté dans « Zadig », un conte philosophique écrit par Voltaire au 18ème siècle. Il faut le (re)lire.

Cette longue scène introductive donne le la, donne le ton de tout le reste du film : celui d’un décalage.

En effet, ce jeune procureur qui veut simplement faire son travail (c’est cela l’idéalisme de la jeunesse : penser qu’on va pouvoir faire son travail simplement et justement) va être confronté à des gros beaufs de façon de plus en plus oppressante qui vont le manger tout cru : ils sont partout, se reproduisent et détiennent le pouvoir (cf. Rhinocéros de Ionesco). Le maire et le fils du maire veulent le corrompre à coup de cadeaux, d’invitations et d’incitation à la débauche. Le seul individu local pourvu d’un esprit critique, un jeune journaliste, est exclu par la population car c’est un lanceur d’alerte gênant qui compromet le don d’eau aux habitants en pleine sècheresse.

En effet, l’enjeu socio-économique et social de la ville est l’eau face à la sècheresse dramatique de la région. Afin de se faire réélire, le maire propose de continuer à surexploiter les nappes phréatiques pour plaire aux agriculteurs et à toute la population qui en ont tous besoin. Le problème est que cette surexploitation des eaux souterraines provoque l’érosion des terres et leur effondrement puis des « dolines » : des gouffres béants très dangereux pour la population. Le journaliste publie les rapports des géologues qui font état du niveau de dangerosité des dolines mais il est accusé d’être un perdant de mauvaise foi qui veut venger son père adoptif (décédé après avoir perdu les élections municipales précédentes). 

L’enjeu de l’eau et la mise au banc de la société d’un lanceur d’alerte au détriment de la nature et des générations à venir sont l’objet d’une pièce que je n’ai toujours pas lue ni vue intitulée Un Ennemi du Peuple d’Henrik Ibsen, écrite en 1882. C’est aussi la même intrigue dans Chinatown de Polanski avec Nicholson et Dunaway, à la différence que celafinit par une révélation d’inceste…

Dans « Burning days », la touche personnelle scénaristique est une histoire de viol sur une jeune enfant du voyagedéficiente intellectuellement. Une scène, pourtant filmée subtilement, est très violente visuellement malgré tout et n’a pas été sans me rappeler une scène de Poetry de Lee Chang Dong où le contraste entre la vulgarité des gens filmés et la distance consciente et jugeante de la caméra, est grand. 


Qu’en est-il des scènes LGBT ?

Alors oui, il y a bel et bien un sous-entendu gay entre le procureur et le journaliste mais on ne sait plus si c’est un fait du scénario ou si c’est ce qu’a imaginé le peuple (les gens les harcèlent sur la question par téléphone et dans la rue) qui fait que le procureur commence à douter de ce qu’il a vécu lui-même étant donné qu’on l’a fait boire énormément le soir du viol et qu’il ne se souvient plus de rien ou par bribes. Plus précisément, il semblerait que ce soit le journaliste qui est vraiment gay et non le procureur. En tout cas, c’est sans doute le film le plus anti-alcool que j’aie jamais vu de ma vie tant les conséquences du black out du héros sont grandes sur sa vie (si vous avez d’autres exemples, je suis preneuse). 

Quoiqu’il en soit, il est absurde qu’un gay viole une petite fille…Mais c’est pourtant ce qu’imagine le peuple, totalement dénué de bon sens, violent et sans cerveau, violent parce que décérébré.


La fin du film fait écho au début du film sous une forme différente et ça, d’un point de vue purement esthétique, c’est vraiment magnifique. En effet, le sanglier pourchassé par les habitants au début du film EST le procureur ou les habitants sont devenus des sangliers sauvages qui poursuivent les deux seuls êtres humains qui restent sur terre : le procureur et le journaliste.

Verdict : je n’ai pas aimé ce film, pourtant pourvu objectivement de mille qualités artistiques. Je ne l’ai pas aimé parce qu’il m’a oppressée et désespérée au plus haut point. Ce n’est pas le genre de thriller que j’imaginais, à l’américaine. Mais force est de constater que je suis bel et bien restée scotchée à mon siège, en apnée mentale, pendant deux heures. Bravo au courageux réalisateur turc qui n’a pas pu se rendre à cette projection (il devait venir) pour une très belle raison : il venait de devenir papa depuis une semaine.

Ma plus grande déception ? J’en ai parlé en cours. J’ai bien prévenu mes deux élèves français d’origine turque que ce n’était pas un film pour adolescents de 14 ans, que c’était trop déprimant et que ça leur paraîtrait de toute façon trop ennuyeux. Une des deux y est allée malgré tout avec ses parents et ses cousins. Personne n’a aimé, ce que je conçois parfaitement (moi non plus). Mais l’ont-ils compris ? Rien n’est moins sûr. Mes élèves turcs semblent apprécierErdoğan (ils ne comprennent pas le rapport entre le programme de 3ème qui tourne autour des régimes totalitaires, dupopulisme et lui...), influencés naturellement par leurs parents. 


POUR EN SAVOIR PLUS :

Sur les dolines :



Sur le réalisateur : 

lundi 1 mai 2023

THE QUET GIRL, COLM BALREAD, 2022, IRLANDE.

 The Quiet Girl de Colm Balréad, 2022, Irlande.

Vu le mardi 21 mars 2023 en avant-première (invitation forum des images via la revue Positif), en présence du réalisateur qui a répondu à la question de savoir si son prochain film serait en gaélique : « La langue la plus importante pour moi est celle du cinéma ». <3. Film sorti en 2022 nominé aux Oscars.


Résumé : une petite fille prénommée Cáit vient d’une famille où elle n’a pas sa place et va la trouver auprès d’une autre famille, chez sa tante et son oncle.

WARNING : SPOILER.

Le film commence par une scène où l’on voit la mère excédée par l’énième pipi au lit (énurésie) de la jeune héroïne Cáit, ses deux sœurs énervées parce que la mère ne peut pas s’occuper d’elles de nouveau à cause de cela. La mère, enceinte jusqu’au cou, s’occupe toujours d’un enfant en cours. La petite fille n’est donc qu’un bouc-émissaire : celui de la pauvreté et du manque d’éducation de sa famille.

C’est l’enfer à la maison : il y a toujours un gamin qui braille, du bruit, de l’agitation. La petite fille n’est aimée ni par ses parents, ni par ses sœurs, ni par ses camarades de classe à l’école. Tout le monde parle mal d’elle, bref, c’est Caliméro. Cela aurait pu agacer profondément (et ça agace un peu) si le réalisateur n’avait pas fait comprendre tout cela subtilement, à partir du point de vue de la petite fille. Les propos méchants sont donc entendus de loin quand elle a le dos tourné et par fragments, par bribes. Le bruit est là mais diffus car la caméra suit le regard d’un personnage qui ne sait pas où se poser, où se mettre, où se fixer : l’esprit du spectateur est donc focalisé sur cette quête et non sur le reste.

Le père prend même sa maîtresse en stop alors qu’elle est dans la voiture : comme Cáit ne parle pas, elle devient invisible, elle ne compte pas. Une fois rentrés à la maison, le père incite sa femme à accepter l’invitation de sa sœur en envoyant leur fille chez elle pendant tout l’été. Il met en avant le fait qu’elle soit une bouche de trop à nourrir. La mère accepte sans résistance. Le père précise que cela ne le dérangerait pas de la laisser là-bas pour toujours et la petite entend cela.

Au bout d’un long voyage en voiture, le père et la fille arrivent donc chez la tante et l’oncle et sont invités à déjeuner. On sent la tension de part et d’autre, surtout entre les deux hommes : l’un juge l’autre d’être un loser et l’autre l’envie parce qu’il réussit. La femme est concentrée sur la petite. Le père veut repartir le plus vite possible mais la femme le fait poireauter pour lui donner des tiges de rhubarbe. Ce moment est interminable. On le vit du côté du père et le généreux don de rhubarbe comme une humiliation supplémentaire. Le tas de tiges sera jeté négligemment dans la voiture avant un départ en trombe. 

Chaque jour, la petite fille se rapproche de la femme qui l’apprivoise comme un petit animal blessé mais son mari la fuit comme la peste. Jusqu’au jour où la femme doit partir seule en ville et laisse la petite avec lui. Ce jour-là ne se passe pas vraiment bien mais petit à petit, les deux vont tisser des liens et avoir leurs propres rituels. Cáit a enfin trouvé sa place. Jusqu’au jour où après les funérailles d’une personne âgée, elle apprend par une commère du village que le couple a perdu un fils. La petite perd confiance mais le père trouve les mots justes pour la rassurer et elle va beaucoup mieux.

Malheureusement, l’été touche à sa fin et la mère de Cáit envoie une lettre à sa sœur pour lui rappeler que la rentrée approche et qu’il faut la ramener. Le couple ramène donc le coeur serré la petite chez elle. On retrouve le chaos familial bruyant du début avec cette fois-ci le nouveau-né (qui provoque l’indifférence du couple et des spectateurs). Le père regarde à peine la petite au moment des adieux tellement il a mal : on le voit, on le sent, on a mal aussi. La voiture s’en va. La petite se retrouve seule, avec « sa famille ». Son père dit ou fait quelque chose, enfin je crois : peut-être qu’il n’a rien fait après tout. Dans tous les cas, la petite s’élance de toutes ses forces vers le portail situé à un peu moins d’un kilomètre que son oncle s’apprête à fermer derrière lui. Il se retourne et la voit, elle lui saute dans les bras et hurle : « Daddy ! Daddy! ». J’étais en pleurs avec la peur panique que la lumière se rallume trop vite, mes voisins aussi.

Verdict : Je n’avais pas pleuré à la fin d’un film depuis longtemps. Les films devant lesquels je me souviens avoir pleuré sont Timbuktu, The Eternal Sunshine of the Spotless Mind et Le Cercle des Poètes disparus. Mais pleurer spécifiquement à la fin ? Je ne sais plus, j’aurais aimé avoir ma liste personnelle.

Cinématographiquement, la narration en focalisation interne à partir de la petite fille (« quiet ») est l’originalité de ce film qui montre beaucoup de choses poignantes sans paroles et a gagné de nombreux prix pour cela. 

Le film est inspiré de la nouvelle « Foster » de Claire Keegan, 2010. Le réalisateur a mis des mois et des mois avant de trouver la bonne comédienne qui n’avait jamais joué dans un film. Elle est exceptionnelle et s’appelle Catherine Clinch. Le film a été tourné en 2020 lorsqu’elle avait 11 ans. 

La question que je me suis posée : « Montrer ce film à des enfants qui n’ont pas eu la chance de naître et grandir dans une famille aimante, est-ce leur faire du bien ou du mal ? ». Je crois que ça leur ferait du mal mais en même temps, ce film donne clairement de l’espoir à tous les enfants mal aimés de la terre.