Par Emmanuel Moine, avocat spécialisé dans le droit
pénal des affaires et de la propriété intellectuelle.
Il a rencontré ce thème en tant que simple citoyen de
Paris, à la fin des années 80 et au début des années 90. À cette époque, les
graffitis étaient partout. Selon Emmanuel Moine, ce n’est plus vraiment le cas
aujourd’hui, la politique d’effacement (il préfère ce terme à celui de « nettoyage »)
de la Mairie de Paris étant selon lui très efficace.
Un jour, vient chez un individu « la volonté d’écrire quelque chose sur un mur ».
On ne peut donc pas vraiment savoir où est né le phénomène mais deux villes se
disputent son essor dans les années 60 : New-York et Philadelphie. Une des
villes les plus célèbres aujourd’hui en matière d’art urbain est Sao Paulo au
Brésil où une calligraphie spéciale est utilisée sur les murs, inspirée du
Heavy metal américain des années 70-80.
Ce qui le dérange le plus, c’est qu’on regroupe des formes
d’art différentes derrière une catégorie marketing très vendeuse : « le
Street art ». Ainsi, certains artistes n’ayant jamais pris de risques pour
s’exprimer dans la rue font des expositions et vendent leurs œuvres derrière ce
nom.
En France, le phénomène est devenu médiatique dans les
années 80 avec « le procès de Versailles » : des policiers
cherchaient des stupéfiants dans une cave et ont découvert des recueils de
photos de graffitis sur des lieux publics tels que des rames de métro, des
gares SNCF, des murs publics. Cette affaire a mobilisé des dizaines de
policiers, plusieurs juges d’instruction, incriminé une soixantaine d’artistes
et a duré une dizaine d’années. Au final, le tribunal correctionnel de
Versailles en a fait un non-évènement. Au lieu des 100.000 euros réclamés par
les victimes dont la Mairie de Paris, les artistes ont reçu chacun une amende
de 750 euros qu’ils n’ont pas été obligés de payer par ailleurs, leur crime n’ayant
pas été jugé aussi grave que cela.
Depuis 1994,
écrire sans autorisation sur un mur est un délit inscrit dans le droit pénal. La peine dépend du « dommage » sur le
support : si on peut l’effacer, c’est une amende et si on ne peut pas l’effacer,
c’est un risque prison ferme avec une amende qui va de nos jours de 20.000
euros à 80.000 euros, ce qui n’a plus rien à voir avec les 750 euros du procès
de Versailles.
Le problème actuel en matière de droit et art urbain,
c’est que toutes les jurisprudences ne se ressemblent pas, c’est-à-dire les
jugements rendus par les tribunaux par rapport à une situation donnée. « Il
n’y a pas de regard unique sur le problème » et c’est précisément le
problème.
Les preuves sont souvent des photos des œuvres des
artistes qui ont été obtenues en fouillant et en confisquant leurs ordinateurs :
parfois ces photos sont rendues mais elles sont la plupart du temps
systématiquement effacées. Plus le nombre de photos est important, plus le chef
d’inculpation est lourd.
Récemment en France, des artistes ont été poursuivis
pour avoir fait des tags dans un cimetière de train pour le clip d’un DJ français
célèbre. On leur réclame 29.000 euros de dommages et intérêts alors que les
trains ne fonctionnent plus et sont démantelés.
Emmanuel Moine insiste pour dire qu’il ne remet
absolument pas en question le droit pénal mais la façon dont le droit est
appliqué. Les artistes eux-mêmes ne veulent pas que leurs actes soient légaux :
l’illégalité est consubstantielle à leur art qui n’aurait pas de sens
autrement. D’autres ne se revendiquent absolument pas artistes et assument leur
pur vandalisme.
Tout se complique avec le droit de propriété
intellectuelle.
En effet, quand bien même un artiste a créé son œuvre dans
l’illégalité, on n’a pas le droit de la lui voler pour autant. « C’est
toute la dichotomie du sujet ».
Par exemple, un artiste urbain a par exemple retrouvé
son œuvre issue de la rue imprimé sur un tee-shirt vendu dans les 30.000 points
de vente d’une marque connue de prêt-à-porter. Il y a eu finalement un non-lieu
car la société de prêt-à-porter a reversé une somme très importante d’argent à
l’artiste pour le préjudice.
Un autre a dû faire son procès
en Chine –pays de la contrefaçon donc lol- et l’autorité administrative
chinoise a condamné les gens qui lui avaient volé son œuvre, issue elle aussi
de la rue, à 10.000 euros.
La bascule du phénomène a eu
lieu avec un artiste britannique nommé Banksy dont les œuvres qui ne valaient
que 3000 livres sterling hier valent 300.000 livres sterling aujourd’hui. A
Bristol, la mairie voulait enlever son œuvre réalisée sur le mur d’un hôpital,
les citoyens se sont mobilisés, ils ont fait un vote et l’œuvre est restée
grâce à 93% de voix pour. La photo de l’œuvre est dans l’article ci-dessous :
Il
vient d’ouvrir un hôtel « dystopique » à Bethléem en Cisjordanie
hier, le 6 mars 2017 : http://time.com/4690180/banksy-walled-off-hotel-bethlehem/
Le
site pour réserver une chambre à partir du 11 mars 2017 : http://www.banksy.co.uk/bookings.html
Page
biographique Wikipédia de Banksy, un artiste visiblement engagé à travers ses œuvres :
Le
site d’un fan en français : http://www.banksy-art.com/artiste-engage.html
En France, un artiste s’est fait
voler une céramique collée sur un mur qui vaut très cher aujourd’hui. Je ne
sais pas de quel artiste il s’agit : Space Invader ? Aidez-moi.
L’avocat Emmanuel Moine, ne fait
aucune différence légale entre un tag que les gens peu informés trouvent moche
et un dessin plus élaboré, une fresque murale. Qu’est-ce qu’une œuvre ? « Une empreinte de la personnalité de son
auteur ». Or qu’est-ce qu’il y a de plus empreint de personnalité qu’une
signature ? Donc un tag est une œuvre, CQFD. L’homme derrière l’avocat est
très sensible aux tags : il en faisait des photos dans sa jeunesse, a
participé à l’un des premiers magazines sur le graffiti en France et continue
de prendre des photos de graffitis dont il en a fait des expositions.
Autre affaire médiatique :
une exposition à Bologne de l’artiste italien bolonais « Blu ». En
effet, on lui a volé ses œuvres sous prétexte de les protéger, sans son
autorisation…Il a donc réagi en effaçant toutes ses œuvres dans sa ville
natale.
SON
SITE : http://blublu.org/sito/walls/001.html
Pendant ce temps, un artiste
américain de Chicago a fait six mois de prison ferme en Australie : Jim
Clay Harper et Danielle Bremner aka Ether and Utah, les « Bonnie and Clyde »
du graffiti. Bremner et Nokier, un ami artiste australien du couple ont échappé
à la police.
LEUR
SITE : http://utahether.com/
En France, nous semblons assez incultes sur la question.
François Chastanet a participé à faire connaître l’art urbain au Brésil avec
son livre : Pixacao : Sao Paolo
signature.
Emmanuel Moine conclut en nous
incitant à visiter Athènes, une ville qui autorise les tags, sans doute parce
qu’elle n’a pas les moyens de les effacer mais où s’expriment donc beaucoup de
gens.
Une dame monopolisant la parole
au moment de l’échange parce que très affectée par la disparition d’un tag près
du Père Lachaise « La précarité n’est pas un métier », je suis
partie d’agacement (je trouve ce slogan super moi aussi mais je ne supporte pas
les gens qui ne respectent pas les autres), je le regrette maintenant mais j’avais
faim par ailleurs, il était près de 21 heures.
SITOGRAPHIE SOMMAIRE :
http://www.lemonde.fr/arts/article/2015/04/16/les-street-artistes-francais-tentent-de-s-opposer-au-vol-de-leurs-uvres_4617345_1655012.html
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